Ma Semaine Twitter 37 de 2024
Où l'on s'invite dans la villa à 47,5 millions de $ de Lars Windhorst à Beverly Hills
Il existe probablement, au-delà du cercle polaire, un cimetière où gisent pour l’éternité les rapports commandés par de très hautes autorités à de très compétentes sommités, sur des sujets d’importance considérable.
Une cérémonie fort cérémonieuse de remise aux hautes autorités du rapport rédigé par la compétente sommité est organisée. Des photos sont prises. De solennelles déclarations sont émises.
Et le rapport est transporté en catimini dans le cimetière des rapports, où il rejoint ses prédécesseurs.
Le dernier en date de ces rapports, c’est celui de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité de l’Union européenne.
Mario Draghi, c’est l’homme au verbe puissant qui, en 2012, alors qu’il était président de la Banque centrale européenne, avait sauvé l’euro, menacé d’implosion, en déclarant que l’euro serait sauvé, quoi qu’il en coûte :
Whatever it takes.
Monsieur Draghi propose trois pistes pour faire redémarrer le moteur d’une croissance durable dans l’Union européenne :
L’Europe doit reconcentrer ses efforts collectifs sur un objectif : réduire l’écart en matière d’innovation avec les Etats-Unis et la Chine, particulièrement dans les technologies avancées.
L’Europe doit se doter d’un plan commun de décarbonation et de compétitivité.
L’Europe doit agir pour améliorer sa sécurité et réduire ses dépendances au reste du monde.
J’ai lu avec attention les recommandations en matière de financement des investissements préconisés par Draghi, qui sont gigantesques : 750 à 800 milliards d’euros par an jusqu’en 2030.
Mais voila, l’intermédiation financière est moins efficace en Europe qu’aux Etats-Unis du fait de la fragmentation des marchés et de flux d’épargne moindres vers les marchés de capitaux.
De plus, les économies européennes sont plus dépendantes des banques que des marchés financiers pour se financer. Or les banques ne sont pas bien outillées pour financer l’innovation, “qui requière la présence plus importante d’investisseurs en actions patients et tolérants au risque”.
En ce qui concerne le secteur privé, le rapport Draghi recommande de ressusciter la titrisation et de terminer l’union des marchés de capitaux.
En matière de supervision, il recommande de doter l’ESMA des pouvoirs de la SEC aux Etats-Unis et d’en faire le régulateur unique des marchés de capitaux dans l’Union, là où elle (n’)est aujourd’hui (que) le coordinateur des autorités nationales compétentes (l’AMF pour la France).
Il suggère que l’ESMA devienne le superviseur exclusif des émetteurs multinationaux opérant dans l’UE, des grandes plateformes boursières (comme Euronext) et des contreparties centrales (“central counterparty platforms”).
J’extrais un seul graphique de ce rapport, qui montre l’écart abyssal entre l’UE (en bleu) et les Etats-Unis (en gris) en matière de financement de type capital risque (venture capital), à tous les stades : seed, early stage et late stage. Les montants sont en milliards de $ et les données proviennent de Pitchbook.
La marche est haute, non ?
Je doute que la “démocratisation” en cours des actifs privés nous permette de combler rapidement notre retard.
Le rapport1 est passionnant et inquiétant. Les préconisations sont pragmatiques et me semblent impossibles à mettre en oeuvre dans le climat politique général actuel. Je crains donc que le déclin relatif de l’UE ne se poursuive.
Si vous aimez les pavés dont la lecture rend plus intelligent et qui finissent au cimetière des rapports, il y a eu en début d’année celui de Christian Noyer au Ministre de l’économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire : “Développer les marchés de capitaux européens pour financer l’avenir"et ses quatre “recommandations transformatrices”.
Ou encore, toujours en début d’année, le rapport d’Enrico Letta au conseil européen sur l’avenir du marché unique : “Much more than a market”.
J'ai lancé en novembre 2023 un Substack à destination des investisseurs privés, L'Odyssée des Placements. Mon objectif ? Contribuer à améliorer la littératie financière des abonné.e.s.
Le lancement est parrainé par Indexa Capital, qui commercialise en France le contrat d'assurance vie en gestion sous mandat le moins cher (j'en avais parlé ici) : Indexa Vie Spirica. Vous pourrez bénéficier sous conditions d'une remise pendant un an sur les frais d'assurance et de mandat en suivant ce lien.
Fin août, de retour de vacances, je revins plein d’espoir dans mon potager du Vexin, pour découvrir que le mildiou avait anéanti les 62 pieds de tomates amoureusement bichonnés depuis le début de l’année, de la mise en godets en février à la mise en terre en mai.
Voici à quoi le désastre ressemblait.
Dimanche dernier, toujours mortifié d'avoir perdu ses pieds de tomates anéantis par le mildiou, Tartarin du Vexin, a posé, fier comme Artaban, avec sa betterave jaune et trois valeureuses tomates ayant survécu au désastre.
J’ai lu la semaine dernière le dernier livre d’Hervé Le Tellier, romancier dont j’avais beaucoup aimé L’anomalie qui avait remporté le Prix Goncourt en 2020.
Le nom sur le mur est un récit consacré à André Chaix, jeune résistant français mort au combat le 22 août 1944. Il avait 20 ans.
Le Tellier a découvert son nom sur un des murs de la maison qu’il venait d’acheter dans la Drôme, près de Dieulefit. Intrigué, il part à la recherche des quelques traces qui restent d’une courte vie qui s’est terminée il y a quatre-vingts ans et essaie de la reconstituer.
Si la période de la deuxième guerre mondiale vous intéresse, vous aimerez Le nom sur le mur.
Le Président Georges Pompidou (1911-1974) avait relevé le milicien Paul Touvier des peines d'interdiction de séjour et de confiscation des biens et avait posé cette question rhétorique lors d’une conférence de presse le 21 septembre 1972, pour justifier sa décision :
Le moment n'est-il pas venu de jeter le voile, d'oublier ces temps où les Français ne s'aimaient pas et même s'entretuaient ?
Pour Hervé Le Tellier, né en 1957, le moment n’est pas venu de jeter le voile.
Sur Paul Touvier (1915-1996), on peut lire Un certain Monsieur Paul de Laurent Greilsamer et Daniel Schneidermann.
Sur Georges Pompidou, mort il y a cinquante ans, on peut lire la biographie écrite par Eric Roussel.
Heureusement, les températures ont remonté depuis ce tweet d’Etienne Dorsay.
Marie Bernard me fait beaucoup rire.
Vous trouvez ce billet trop long ? J’ai fait la synthèse de ce qui suit dans une vidéo de moins de 3 minutes.
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Bienvenue dans ma semaine Twitter 37 de 2024.
La nouvelle star
Peu de professeurs d’université acquièrent le statut de rock stars. Sauf quand leur est décerné le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel, improprement désigné sous le nom de Prix Nobel d’Economie.
Pour autant que les sujets de recherche soient explicables au plus grand nombre et que les récipiendaires des prix sachent s’exprimer dans les médias, ils deviennent alors célèbres et bankable sur le circuit international des interventions rémunérées.
Dans cette catégorie, on trouve (ou trouvait) Eugene Fama, Daniel Kahneman (1934-2024), Harry Markowitz (1927-2023), Robert Shiller2 ou Richard Thaler.
Certains professeurs d’université deviennent célèbres sans ce prix, quand leurs publications entrent en résonance avec l’esprit du temps et sont popularisées au-delà du cercle habituel — fort restreint — des lecteurs de la recherche académique par des relais qui y voient un intérêt, parfois commercial3.
C’est le cas du professeur Hendrik Bessembinder, qui occupe la chaire Francis J. and Mary B. Labriola au département de finance d’Arizona State University.
Les podcasts sont un des vecteurs possibles de la notoriété d’un chercheur : aux Etats-Unis, The Long View Podcast a une voix qui porte.
Ce podcast de Morningstar est généralement animé par deux hôtes, Christine Benz et Jeffrey Ptak, CFA, qui ont récemment reçu Bessembinder pour discuter de son papier de recherche le plus cité, paru en 2018 : “Do Stocks Outperform Treasury Bills?”
A savoir : “Est-ce que les actions font mieux que les bons du trésor étatsunien ?”
Les Treasury Bills (ou T-Bills) sont des titres de dette émis par le trésor étatsunien ayant une maturité comprise entre 4 et 52 semaines. Ils représentent par convention la rémunération des liquidités et sont des instruments considérés comme étant sans risque.
On utilise la performance des T-Bills à un mois comme proxy pour le taux sans risque.
Bessembinder a travaillé sur les données du CRSP4, qui débutent en 19265 et concernent plus de 25 000 actions.
Il a montré que 57% des actions cotées étatsuniennes ont délivré pendant leur vie une performance inférieure à celle des T-Bills à un mois. 43% des actions ont donc délivré une performance supérieure ou égale au taux sans risque, et 4% seulement des actions ont délivré la totalité de la valeur au-delà du taux sans risque.
Ces résultats sont assez contre-intuitifs : le discours dominant affirme en effet que sur longue durée, les actions ont fait mieux que les obligations, qui ont elles-mêmes fait mieux que les T-Bills.
D’un point de vue statistique, ce qui se passe c’est qu’il y a une asymétrie positive6 dans la distribution des rendements composés. […] L’essence d’une distribution à coefficient d’asymétrie positif, c’est que la plupart des rendements individuels sont inférieurs à la moyenne des rendements. Si vous préférez, le rendement médian est inférieur au rendement moyen.
Ce qui s’explique par la présence d’un faible nombre d’actions (4% du total, donc) ayant délivré des rendements très élevés.
Incidemment, les modèles dominants en finance (le CAPM7 par exemple) postulent que la distribution des rendements des actifs financiers suit une loi normale, alors que Bessembinder8 a montré que ce n’était pas le cas avec les actions, qui ont donc un coefficient d’asymétrie positif.
Bessembinder explique que nombre de mesures de performance et de risque (alpha, écart-type des rendements aka volatilité, ratio de Sharpe) postulent que la distribution des rendements est normale. Comme ce n’est pas le cas, il se demande si ces mesures sont utiles.
Sur les 26000 actions présentes dans la base CRSP, 4000 existaient encore en 2016. 22000 avaient donc disparu, dont 9000 ont été sorties de la bourse pour des raisons négatives.
Un nombre significatif d’actions ont aussi disparu pour des raisons non négatives (rachat par exemple).
Le rendement le plus fréquent9 rencontré par Bessembinder dans son étude était -100%.
Il est parfaitement possible de tirer des conclusions opposées des résultats mis en valeur par Bessembinder.
Le fait que 4% seulement des actions ont délivré sur 90 ans la totalité de la création de valeur au-delà du taux sans risque plaide en faveur de la gestion active, qui vise à identifier ces stars.
Le fait que 4% seulement des actions ont délivré sur 90 ans la totalité de la création de valeur au-delà du taux sans risque plaide en faveur de la gestion indicielle diversifiée, qui permet de s’exposer à toutes les valeurs : aux 4% de superstars et aux autres. Et d’obtenir la performance du marché actions, qui est supérieure à celle de l’actif sans risque.
Les gérants actifs tiennent par construction le premier discours. Leurs performances des 20 dernières années montre qu’ils échouent collectivement à battre leurs pairs indiciels à bas coûts.
Il existe vraisemblablement des gérants actifs très performants. Si vous 1. savez les identifier à l’avance et 2. avez accès à leurs fonds, go for it, sans hésiter.
Ne sachant pas les identifier, je suis partisan du second discours et de la gestion indicielle à base de produits très diversifiés à bas coûts.
J’avais parlé ici d’un récent papier de Bessembinder qui a fait grand bruit : dans “Which U.S. Stocks Generated the Highest Long-Term Returns?”, il a en effet identifié les actions les plus performantes aux Etats-Unis entre 1926 et 2023.
La première fois que j’avais parlé de Bessembinder dans ce blog, c’était le 10 décembre 2018 (ici).
De Daniel Kahneman, vous pouvez lire Système 1, système 2 - Les deux vitesses de la pensée ; de Robert Shiller Faut-il avoir peur des bulles financières ? L’exubérance irrationnelle des marchés et Les Esprits animaux - Comment les forces psychologiques mènent la finance et l'économie (co-écrit avec George Akerlof) ; de Richard Thaler, Nudge - La méthode douce pour inspirer la bonne décision (co-écrit avec Cass Sunstein) et Misbehaving - Les découvertes de l'économie comportementale.
Pondérations
Les indices actions traditionnels sont pondérés par le flottant : le poids des constituants dans l’indice est égal au ratio de leur flottant sur le flottant total. Dans le jargon anglais, on parle de float-adjusted market capitalization weighting.
Les capitalisations évoluant, les poids évoluent aussi. Aujourd’hui, le niveau de concentration au sein des indices actions est à un niveau historiquement élevé, à cause de quelques mégacaps étatsuniennes que tout le monde connaît.
Il est possible d’utiliser d’autres méthodologies pour pondérer les indices. J’ai parlé la semaine dernière de Research Affiliates, qui a développé des indices pondérés en fonction de fondamentaux comptables des entreprises, pour briser le lien entre la capitalisation et le poids.
Mais il existe une technique bien plus simple : l’équipondération.
Comme son nom l’indique, l’équipondération consiste à donner à chaque constituant d’un indice un même poids : Apple, Nvidia, Microsoft ont le même poids que les 3 plus petites valeurs de de l’indice MSCI USA. Ce dernier en comportait 601 à fin août 2024 : dans sa version équipondérée, chaque constituant a un poids de 1/601, soit 0,17%. Les poids respectifs d’Apple, Nvidia et de Microsoft dans la version float-adjusted market capitalization weighted étaient de 6,8%, 6,04% et 5,96%.
Alors que le niveau de concentration des indices actions est un motif récurrent d’interrogations, voire d’inquiétude, Invesco vient de lancer en Europe un ETF répliquant la version équipondérée du MSCI World, pour des frais annuels de 0,2%.
Cet indice comporte des grandes et moyennes capitalisations10 de 23 marchés considérés comme développés. Quoique très diversifié, il est aujourd’hui dominé par les valeurs étatsuniennes dans sa version traditionnelle : elles pesaient 71,56% du total à fin août et les 10 premières positions étaient les mêmes que celles de l’indice MSCI USA.
L’équipondération conduit à une sur-représentation des moyennes valeurs et à une plus forte exposition aux valeurs de type Value. Elle réduit considérablement le poids des pays les plus représentés dans la version traditionnelle.
Il en résulte des expositions très différentes entre les deux versions : le poids des Etats-Unis n’est ainsi plus que de 42,09% au 13 septembre dans la version équipondérée.
A comparer avec l’exposition géographique du MSCI World traditionnel à fin août.
Dans le MSCI World traditionnel, le secteur de la technologie est le premier en poids à fin août (24,7%) devant les services financiers (15,5%).
Dans la version équipondérée, au 13 septembre, le premier secteur est celui des valeurs industrielles (17,74%), celui de la technologie n’étant plus que troisième avec un poids de 11,14%.
D’une manière générale, la version équipondérée d’un indice implique des frais de transaction beaucoup plus élevés pour les véhicules qui la répliquent par rapport à la version traditionnelle.
Pour Elroy Dimson, professeur , les indices équipondérés sont “une idée épouvantablement mauvaise” (source), car ils
doivent être rééquilibrés périodiquement, ce qui veut dire qu’ils doivent vendre les gagnants pour racheter les perdants pour rétablir l’équipondération.
Quant à Gary Buxton, le responsable ETF pour la zone EMEA d’Invesco, il considère que
notre nouvel ETF offre aux investisseurs une façon sensée de conserver une exposition large aux marchés d’actions mondiaux, mais avec une sensibilité réduite à la performance de toute société individuelle.
Buxton joue sur le levier toujours efficace de la peur :
La forte baisse des marchés d’actions en juillet – même si elle fut relativement brève – a utilement rappelé que le vent peut tourner rapidement pour les sociétés prises une par une, au gré du sentiment des investisseurs. [source]
Invesco avait précédemment lancé en Europe Invesco Nasdaq-100 Equal Weight UCITS ETF en juillet 2024 et Invesco S&P 500 Equal Weight UCITS ETF en avril 2021.
L’ETFisation du monde
Marc Andreessen avait affirmé ceci dans un article de 2011 :
Software is eating the world.
Je me permets de le détourner :
ETFs are eating the world.
Presque rien n’échappe en effet à l’appétit insatiable de cette enveloppe récente (le premier ETF indiciel a été lancé au Canada en 1990).
L’ETFisation du monde financier se poursuit.
Je dois avouer que certains produits me laissent songeur, sceptique, voire m’inquiètent.
Comme cet ETF géré par SSGA, lancé en partenariat avec Apollo Global Management, qui mixera actifs cotés et crédit privé, et qui n’a pas encore obtenu l’autorisation de la SEC aux Etats-Unis : SPDR SSGA Apollo IG Public and Private Credit ETF.
SSGA (State Street Global Advisors) est le 3è plus grand gérant indiciel en termes d’encours, très loin derrière BlackRock et Vanguard, et de plus en plus distancé en termes de collecte.
Apollo, fondée en 1990, est un des géants de la gestion alternative (dont le crédit privé) avec des actifs sous gestion de 696 milliards de $ au 30 juin 2024. La société est cotée sur le NYSE (ticker APO).
SSGA veut se relancer sur le marché des ETF, Apollo veut continuer à se développer sur le segment des particuliers : l’alliance a du sens.
Le produit en a-t-il ? C’est moins sûr.
A l’origine et jusqu’à récemment, ETF était synonyme de gestion indicielle. L’objectif des émetteurs d’ETF indiciels est de délivrer une performance aussi proche que possible de celle de l’indice sous-jacent (moins les frais et plus certains revenus annexes éventuels, comme ceux du prêt de titres).
Puis advint l’ETF actif, dont la croissance est explosive aux Etats-Unis et qui aborde également les rives européennes.
Les ETF indiciels traditionnels répliquent des actifs cotés, plus ou moins liquides ; et les ETF actifs investissent sur des actifs cotés, plus ou moins liquides.
A ma connaissance, SPDR SSGA Apollo IG Public and Private Credit ETF sera, s’il est autorisé par la SEC, le premier ETF géré activement détenant des titres non cotés à peu près totalement illiquides.
Aux Etats-Unis, un fonds (mutual fund ou ETF) ne peut détenir plus de 15% d’actifs illiquides.
La SEC définit ainsi un investissement illiquide (source) :
Un investissement que le fonds ne peut raisonnablement pas espérer vendre dans les conditions de marché du moment en sept jours calendaires sans changer significativement la valeur de marché de l’investissement.
Oups. Alors qu’un caractère essentiel de l’attractivité d’un ETF est de répliquer aussi fidèlement que possible la performance de son indice sous-jacent11, comment minimiser à tout instant l’écart de suivi par rapport à un portefeuille comportant des actifs illiquides, dans une proportion restant à déterminer pour le produit SSGA Apollo ? Même si ce dernier est à gestion active.
Le document d’enregistrement de l’ETF déposé auprès de la SEC ne mentionne pour le moment pas les frais. Il indique que le conseiller du fonds
investit au moins 80% des actifs du fonds […] dans un portefeuille de titres de dette de qualité d’investissement12, incluant une combinaison de (i) titres de crédit cotés13 et (ii) de titres de crédit privés sourcés par Apollo Global Securities […].
Entrons dans les détails de la partie “privée” :
Le fonds investira dans le crédit privé, terme qui englobe une large palette d’instruments de crédit, comme des instruments qui sont originés et émis directement via des placements privés, émis auprès de sociétés privées, et/ou émis auprès d’emprunteurs par des prêteurs non bancaires […]. Apollo a contractuellement accepté de fournir des offres de rachat exécutables sur tous les [instruments sourcés par Apollo] détenus par le fonds.
La dernière partie est importante : c’est donc Apollo, qui source les intruments de dette privée, qui s’engage à les racheter. Question : qui détermine leur juste valeur ? Que se passe-t-il dans le cas — évidemment improbable tant qu’il ne s’est pas produit — de demandes de rachat massives sur l’ETF ?
Par ailleurs, si je comprends bien, l’ETF pourra détenir jusqu’à 20% de titres qui ne sont ni des titres de dette cotés, ni des titres de dette privée. S’agit-il de titres sûrs et liquides, comme des bons du trésor étatsunien, pour faire face à d’éventuels chocs de liquidité ?
Ou bien d’obligations pourries, comme ce passage du document d’enregistrement le laisse entendre ?
Le fonds pourra investir jusqu’à 20% de son actif net dans des titres [de dette] à haut rendement (communément connues sous le nom d’obligations “pourries”).
J’attends avec impatience la décision de la SEC et, si elle est positive, d’avoir plus de détails sur le fonctionnement de cet ETF.
What could possibly go wrong?
Comme l’écrit l’excellent Jason Zweig du Wall Street Journal dans un article du 13 septembre, dans lequel il s’intéresse notamment à l’ETF NIXT répliquant un indice de Research Affiliates dont j’ai parlé la semaine dernière, mais aussi au projet d'’ETF SSGA Apollo :
[Le nouvel ETF NIXT] n’est peut-être pas totalement mauvais, il rappelle [aux investisseurs qu’ils doivent se tenir] sur leurs gardes face à la prolifération de fonds qui ne devraient même pas exister.
Sa conclusion :
Les bonnes innovations [en matière de placement] sont rares. Et deviennent de plus en plus rares avec le temps.
Caveat emptor.
Qui est vraiment Lars Windhorst ?
Avertissement : j'ai assisté entre novembre 2022 et avril 2023 l'Association Collectif Porteurs H2O dans le cadre d'une mission rémunérée (détails ici). A vous de déterminer si elle influe sur ma couverture de l'affaire H2O AM sur ce blog.
Si vous avez manqué les 200 premiers épisodes du H2Ogate, Lars Windhorst, c’est un entrepreneur allemand assez calamiteux, connu comme le loup blanc pour emprunter et ne presque jamais rembourser ses dettes.
Il a accroché à son tableau de chasse les pigeons du siècle en la personne des deux dirigeants de H2O AM, Bruno Crastes et Vincent Chailley.
Ces derniers, séduits par la vista entrepreneuriale de Lars et disant ignorer sa propension à ne pas rembourser ses dettes14, ont largement profité en famille de ses largesses, comme l’ont montré les articles de Robert Smith et Cynthia O’Murchu du Financial Times et le rapport de la FCA, le régulateur britannique, dont j’avais parlé ici.
Crastes et Chailley ont investi beaucoup d’argent via des fonds de droit français dans les sociétés contrôlées par Lars, qui n’a presque rien remboursé. Le problème : l’argent dans les fonds n’était pas celui de H2O AM, mais celui de centaines de porteurs de parts.
Mais qui est vraiment ce Monsieur Windhorst ?
Nils Naber, un journaliste de la Norddeutscher Rundfunk allemande, s’est posé la question et a essayé d’y répondre dans un reportage passionnant de 17 minutes.
Son titre ?
Wunderkind oder Skandal-Investor? Die Gesichter des Lars Windhorst
A savoir :
Enfant prodige ou investisseur à scandale ? Les visages de Lars Windhorst.
Pourquoi enfant prodige (“Wunderkind”) ?
Parce que la carrière de Lars a commencé quand il était adolescent : il avait créé une société qui importait des composants électroniques d’Asie et les revendait en Allemagne. Helmut Kohl, alors Chancelier, s’était entiché du jeune prodige et l’avait emmené avec lui en voyage officiel en Asie.
Las, il ne fallu pas longtemps pour que Lars aille dans le mur.
Mais il rebondit après chaque échec et recommence. Et échoue de nouveau. Et recommence. A chaque fois, il lui faut trouver de nouveaux gogos prêts à lui prêter de l’argent15.
Sa bromance avec Bruno Crastes, qui démarre vers 2015, lui permet de changer de braquet. Je ne reviens pas sur ce scandale au long cours que je couvre depuis juin 2019.
Qu’ai-je appris dans le reportage de Nils Naber ?
Que les salariés et les fournisseurs de Nobiskrug, un chantier naval spécialisé dans les superyachts, que Windhorst avait racheté en août 2021, ne sont plus payés depuis des mois.
Que, "selon un jugement néerlandais, les sociétés de Windhorst ont émis des obligations et autres titres de dette pour une valeur de cinq milliards d'euros entre 2014 et 2018." La part apportée par les fonds de H2O AM oscille probablement entre 2,3 et 2,7 milliards d’euros.
Que Lars avait acheté une villa à Los Angeles en 2023 pour 47,5 millions de $.
Rembourser les side-pockets ou se loger, la question elle est vite répondue comme on dit chez les jeunes.
Où est passé l’argent prêté et jamais remboursé ? Mystère. Windhorst ne dépose plus les comptes de ses sociétés, ou alors tardivement, et de toute façon, ces comptes ne sont pas audités.
Etonnamment, H2O AM n'a pas donné suite aux sollicitations de Nils Naber.
Heureusement, si vous assistez à la réunion de présentation par H2O de son offre au rabais et inégalitaire le 26 septembre prochain à 12h15 sur le salon Patrimonia à Lyon, vous pourrez questionner Loïc Guilloux, le directeur général de H2O AM.
Même s’il n’est chez H2O AM que depuis mai 2016, il a assisté à la majeure partie du H2Ogate et vous renseignera sans doute.
En toute transparence.
Qui sait, peut-être que Lars offre des réductions sur le loyer Airbnb de sa villa aux détenteurs de side-pockets, pour leur rendre une infime partie des centaines de millions de $ dilapidés par H2O AM, dont une partie lui a peut-être permis de s’acheter sa demeure californienne ?
Ce serait chic de sa part.
Des nouvelles du #H2Ogate
Avertissement : j'ai assisté entre novembre 2022 et avril 2023 l'Association Collectif Porteurs H2O dans le cadre d'une mission rémunérée (détails ici). A vous de déterminer si elle influe sur ma couverture de l'affaire H2O AM sur ce blog.
Décidément, les voies de l’AMF sont toujours aussi impénétrables.
Le régulateur a en effet eu la riche idée de cesser de mettre à jour le site fournissant les données sur les OPCVM sans avoir mis en ligne de nouvelle version.
Les dernières données disponibles sont en date du 21 mars 2024. Nous sommes le 16 septembre 2024.
Allô Houston, y a-t-il quelqu’un aux commandes ?
Je ne peux donc plus suivre la décollecte des fonds H2O AM. Pour les données de performance, je me fournis ailleurs que sur le site de l’AMF et peux donc les mettre à jour, mais elles n’ont aucune importance.
Depuis la scission des 7 fonds sinistrés de H2O AM, il est très difficile de reconstituer la performance des « vieux » fonds d’avant la scission.
Je me livre à l’exercice en calculant une valeur liquidative reconstituée, égale à la somme de la valeur liquidative des « nouveaux » fonds liquides (FCP à la fin du nom) et de la valeur liquidative mensuelle estimative des side-pockets.
Cette valeur liquidative reconstituée est une fiction, car aucune transaction n’est possible sur les side-pockets.
Mais elle permet de voir où en sont les porteurs de parts. Notamment par rapport au plus-haut historique atteint par les « vieux » fonds avant qu’ils ne heurtent des icebergs et fassent naufrage en février et mars 2020.
Autre limite de l’exercice : rien ne dit que les porteurs de parts récupèreront l’équivalent de la dernière valeur liquidative estimative des side-pockets. On ne le saura que quand toutes les participations illiquides auront été revendues au seul acheteur, Tennor, la holding de Lars Windhorst.
Ou plus exactement au fur et à mesure du remboursement par Tennor de la « first super senior secured note » (FSSSN) émise par Tennor, portant intérêt au taux annuel de 4,5% et prévoyant la possibilité de remboursements intermédiaires. Je rappelle (j’en avais parlé ici) que le remboursement total était initialement prévu début 2022. Les créanciers de Tennor, pour éviter la mise en liquidation de la société imposée par un tribunal néerlandais, ont consenti un délai supplémentaire de 6 mois (soit un remboursement début juillet 2022).
Je rappelle aussi que, comme de bien entendu, il n'y a eu aucun remboursement entre juillet et décembre 2022 de la part de Tennor.
Début janvier 2023, H2O AM a laissé entendre dans un communiqué sybillin que Tennor avait procédé fin 2022 à un premier remboursement partiel susceptible de permettre de diminuer le nominal de la FSSSN de 250 millions d'euros.
En fait de 250 millions, ce sont 143,752 millions qui ont été remboursés d'après mes calculs.
Par ailleurs, un porte-parole de Tennor avait déclaré début janvier au quotidien régional allemand Westfallen-Blatt que la holding de Lars Windhorst avait procédé en 2022 à plusieurs remboursements partiels de la FSSSN, dont un fin 2022 pour solde de tout compte.
Après avoir cessé pendant des mois de mettre à jour la valeur estimative mensuelle de side-pockets, bloquée à fin février 2023, H2O AM a dû se résoudre le 12 septembre 2023 à la baisser pour les 7 fonds.
Puis de nouveau en octobre pour les valeurs estimatives à fin septembre. Puis de nouveau en décembre pour les valeurs estimatives à fin novembre.
En janvier 2024, coup de théâtre : la valorisation estimative à fin décembre 2023 est en hausse.
H2O AM, généralement mutique, publiait le 26 janvier 2024 un communiqué de presse pour annoncer « un nouveau remboursement dans les prochaines semaines ».
Remboursement « de l’ordre de 70 millions d’euros ».
Puis nouveau coup de bambou sur les valorisations à fin janvier, en baisse de 109 millions d'euros (voir ci-dessus), avant même que les 70 millions d'euros annoncés aient été remboursés aux porteurs de parts.
Les 20, 21 et 22 mars arrivait le remboursement annoncé : H2O AM avait retenu la leçon de sa désastreuse communication sur le premier remboursement et avait choisi d'annoncer un montant inférieur au montant réel, qui est de 85 millions d'euros, répartis comme suit.
Entre la valorisation initiale d’octobre 2020 et celle de fin août 2024, compte tenu des remboursements de janvier 2023 et mars 2024, la moins-value latente sur les 7 side-pockets est de près de 1 milliard 321 millions d’euros d’après mes calculs.
La valeur résiduelle des side-pockets à fin août 2024 est estimée à 91,29 millions d'euros.
Si H2O AM rembourse 250 millions d’euros (ce qui n’est pas garanti, puisque c’est un montant maximum qui dépend de l’accord des porteurs de parts) et s'il n'y a d’autre remboursement après celui de mars, la perte totale pour les porteurs de parts de side-pockets pourrait donc être de 1 milliard 163 millions d'euros.
Le taux de recouvrement de la valorisation initiale des side-pockets serait de 29%.
C'est le casse du siècle.
Pour les fonds liquides, voilà où on en est au 12 septembre 2024 (date de la VL des fonds liquides dont le nom se termine par « FCP », la dernière valeur liquidative mensuelle estimative des side-pockets étant en date du 30 août 2024).
J'ai ajouté à la VL reconstituée le montant des distributions de janvier 2023 et de mars 2024.
En matière de décollecte, voilà où on en était au 21 mars 2024 (merci et bravo à l’AMF, voir ci-dessus).
En matière de performance, voilà où on en est.
Les produits dont il a été question dans ma semaine Twitter 37 peuvent être achetés en priorité chez votre libraire (pour les livres).
Sinon, si vous n’avez vraiment pas accès à un libraire, ou pour les livres en anglais, parfois plus difficiles à se procurer en librairie en France, vous pouvez cliquer sur les liens disséminés dans ce billet (informations sur le programme d’affiliation Amazon ici).
Vous pouvez suivre le compte Twitter d’Alpha Beta Blog ici et mon compte en anglais là.
Je ne suis pas habilité à donner des conseils sur les produits de placement : ne me sollicitez pas pour cela car je ne vous répondrai pas.
Si vous avez des questions, consultez un conseiller en investissement financier. Un conseiller en investissement financier, c’est quelqu’un que vous payez pour qu’il.elle vous donne des conseils. Dans le jargon de MIF 2, seul le conseiller exclusivement payé par ses clients peut se déclarer indépendant.
Quelqu’un qui est payé par les fournisseurs de produits pour vous vendre lesdits produits, c’est un vendeur, pas un conseiller.
Comment trouver un conseiller en investissements financiers (CIF) indépendant au sens de MIF 2 ? C'est à peu près mission impossible : le site de l'ORIAS, qui est l'organisme auprès duquel s'enregistrent les CIF, ne permet pas de rechercher selon les critères "indépendant" ou "non-indépendant". Pas plus que ne le permettent les sites des 4 associations de CIF agréées par l'AMF.
C'est affligeant et scandaleux.
La charte éditoriale d’Alpha Beta Blog est consultable ici.
C’était ma semaine Twitter 37 de 2024. Sayōnara. さようなら.
Oui, je sais, il n’y a que des hommes dans cette liste.
Ce qui n’enlève évidemment rien à la valeur des papiers de recherche quand ils sont bons, ni ne leur ajoute de la valeur quand ils sont mauvais, c’est-à-dire erronés.
Center for Research in Security Prices.
Bessembinder a travaillé sur la période 1926-2016.
“Skewness”.
Capital asset pricing model, en français MEDAF (modèle d’évaluation des actifs financiers).
Comme bien d’autres avant lui.
Le “mode” en langage statistique.
1429 valeurs à fin août 2024.
Ou d’essayer de faire mieux s’il est à gestion active.
“Investment grade debt securities”.
“Public credit related investments”.
C’est du moins ce qu’avait prétendu un représentant de H2O AM, interrogé à ce sujet par une membre de la commission des sanctions de l’AMF lors de l’audience publique du 25 novembre 2022. La question, en substance : “Pourquoi n’avez-vous pas vérifié le pedigree de Monsieur Windhorst avant d’investir dans des titres émis par ses sociétés.” La réponse, en substance : “Notre département de conformité avait fait une enquête et n’avait rien trouvé de négatif.” J’avais eu du mal à ne pas éclater de rire. A croire que le département de conformité de H2O AM n’avait pas accès à internet en 2015.