
En 2009, le grand méchant loup de la finance, c’était Goldman Sachs, selon un article fameux de Matt Taibi (« The Great American Bubble Machine ») paru dans Rolling Stone.
Pour Taibbi,
la banque d’investissement la plus puissante au monde [était] un gigantesque calmar vampire collé à la face de l’humanité, plaquant sans répit ses tentacules sur tout ce qui a l’odeur de l’argent.
La grande crise financière et la réglementation ont fait perdre de leur superbe aux banques d’investissement en général (Bear Stearns et Lehman Brothers ont sombré) et à Goldman Sachs en particulier.
15 ans plus tard, les nouveaux maîtres du monde de la finance sont les gérants d’actifs. Et notamment le premier d’entre eux en termes d’encours : BlackRock.
Là où les banques d’investissement intervenaient avec leurs fonds propres sur tous les marchés financiers en utilisant un effet de levier parfois massif, les gérants d’actifs investissent l’argent de leurs clients.
Conséquence : le risque de faillite est à peu près nul, et, en cas de faillite, les actifs sont en sécurité car ils ne sont pas détenus par la société de gestion mais par le dépositaire.
BlackRock a été créé en 1988 par Larry Fink et sept autres personnes qui s’étaient connues pour la plupart d’entre elles chez First Boston, où Fink fut un trader obligataire star avant d’être mis à la porte après une perte de 100 millions de dollars.
A l’origine, BlackRock était plutôt un gérant obligataire actif. La société a grandi par acquisitions successives, tout en développant dès 1999 — année de son introduction en bourse sur le NYSE — Aladdin1, son propre système de gestion des risques de portefeuille, également vendu à des tiers.
BlackRock racheta Merrill Lynch Investment Management en 2006 et Barclays Global Investors (BGI) en 2009, devenant ainsi le plus grand gérant d’actifs au monde.
Dans la corbeille de BGI se trouvait iShares, une marque d’ETF qui est aujourd’hui la première, avec une part de marché dominante en Europe.
Au 30 septembre 2024, BlackRock gérait 11 500 milliards de dollars, dont 25% en produits actifs et 67% en produits indiciels, le solde correspondant au monétaire.
A comparer aux encours d’Amundi, le numéro un français, à la même date, qui étaient de 2 192 milliards d’euros (soit environ 2 455 milliards de dollars).
BlackRock est présent sur toutes les classes d’actifs cotées et veut se développer dans le non coté (capital-investissement, immobilier, crédit privé, infrastructures) : les actifs alternatifs ne représentaient en effet que 3% de ses actifs totaux à fin septembre.
Or, la bourse valorise bien mieux les gérants alternatifs que les gérants traditionnels : Blackstone, qui gérait 1107 milliards de dollars à fin septembre, avait une capitalisation boursière de 222 milliards de dollars contre 156 milliards pour BlackRock (au 11/11).
BlackRock pousse donc les feux dans l’alternatif : en 2019 la société a racheté eFront, un fournisseur français de solutions technologiques, puis en juin 2024 Preqin, un fournisseur de données, pour 3,2 milliards de dollars, puis en octobre 2024 Global Infrastructure Partners, un gérant spécialiste des infrastructures, pour 12,5 milliards de dollars. Et ce n’est pas fini2.
BlackRock alimente en ETF les néo-courtiers prisés des jeunes investisseurs (qui, quand ils seront moins jeunes et auront plus d’argent, conserveront sans doute l’habitude des ETF et ne travailleront certainement pas avec la banque ou le CGP de leurs parents), crée et gère des portefeuilles-modèles d’ETF pour des réseaux de distribution et vend Aladdin à ses concurrents.
En bref, BlackRock est partout.
La société n’a aucune difficulté à financer ses acquisitions et finira par devenir un des géants de l’alternatif.
De l’ETF S&P 500 à 0,03% de frais (IVV3) au plus gros ETF Bitcoin (IBIT) à 0,25% de frais, en passant par des stratégies alternatives bien plus chères, on trouvera bientôt tout chez BlackRock. Comme à la Samaritaine.
Bye bye Goldman, hello BlackRock.
Cette chronique, rédigée le 13 novembre 2024, est parue initialement dans le numéro de décembre 2024 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens
Asset, Liability, Debt and Derivative Investment Network.
BlackRock a annoncé le 3 décembre 2024 l’acquisition de HPS Investment Partners, un spécialiste du crédit privé gérant 148 milliards de $, pour 12 milliards de $ payés en actions BlackRock.
Et non pas VOO, qui est l’ETF répliquant le S&P 500 géré par Vanguard, comme je l’ai écrit par erreur dans la version de l’article publiée par Gestion de Fortune mise en ligne sur Alpha Beta Blog jusqu’à la correction en date du 6 décembre. Les 2 ETF ont les mêmes frais : 0,03% par an. Merci à Nicolas pour sa vigilance.
Bonjour Philippe, je pense qu'il y a une coquille dans le dernier paragraphe : le VOO est géré par Vanguard, pas par BlackRock.
Très bonne journée,
Nicolas