Avant, tout était simple : pour qui voulait s’exposer à la croissance économique sur le long terme, il y avait les actifs cotés.
On les achetait soit à l’unité (en investissant dans des titres dits « vifs »), soit en gros (en investissant dans des fonds, pour bénéficier de façon mutualisée dans des véhicules diversifiés de l’expertise de professionnels).
Puis ça s’est compliqué (au moins pour les gérants actifs et les vendeurs de produits rétrocommissionnés) avec une des plus belles inventions de l’histoire de la finance : celle de la gestion indicielle à bas coûts.
Mais voilà, que la gestion soit active ou indicielle, la plupart des fonds ont une fâcheuse tendance : celle de fluctuer, généralement à la hausse, mais parfois aussi à la baisse.
Et les clients n’aiment pas quand ça baisse.
Heureusement, il existe une alternative miraculeuse aux actifs cotés : celle des actifs non cotés.
Miraculeuse car les fonds investissant en actifs non cotés sont parés de vertus surnaturelles : ils ont délivré sur certaines périodes des performances supérieures à celles des fonds comparables investissant dans des actifs cotés.
Et par construction, ils l’ont fait avec une volatilité moindre. Par construction, car ils ne publient des valeurs estimatives que peu fréquemment et ont une certaine marge de manœuvre pour lisser les variations à la hausse comme à la baisse : cette faible volatilité est donc artificielle.
Depuis peu, certains investisseurs privés ont un accès plus aisé à ces stratégies grâce à des assouplissements réglementaires dans quelques pays, dont la France.
Le pitch des vendeurs est bien rôdé :
Les actifs privés, plus performants ! Les actifs privés, moins volatils ! Des produits jusque-là réservés aux investisseurs institutionnels les plus sophistiqués et aux multimilliardaires sont dorénavant proposés à quelques heureux veinards dont vous faites partie. N’attendez pas, il n’y en aura pas pour tout le monde !
Pas de chance, cette démocratisation démarre à peine que des vents mauvais se lèvent sur les actifs privés.
Il faut dire que ces vents avaient été très favorables pendant des décennies : taux d’intérêt en baisse, argent facile, financements pléthoriques.
La hausse rapide des taux d’intérêt à partir de mars 2022 aux Etats-Unis a sifflé la fin de la récréation. McKinsey a ainsi titré son récent rapport annuel sur les actifs privés[efn_note]Dont j’ai parlé ici.[/efn_note]: « L’ère du ralentissement ».
Le constat du cabinet de conseil ?
Pendant plusieurs décennies, des vents favorables ont soufflé : des taux d’intérêt bas et en baisse et des multiples de valorisation en expansion constante. Ça semble être fini.
Dans son rapport annuel sur le capital-investissement[efn_note]Dont j’ai parlé ici.[/efn_note], Bain rappelle une ennuyeuse vérité : entre 2013 et 2023, les LBO les plus importants ont créé 50% de valeur entre l’entrée et la sortie.
53% de cette création de valeur est liée à la hausse du chiffre d’affaires et 47% à la hausse des multiples de valorisation. L’expansion de la marge n’a eu aucun impact. En d’autres termes, il n’y a pas eu d’augmentation de la profitabilité.
Alors que les fonds de LBO vantent et vendent leur capacité à améliorer les performances opérationnelles des sociétés en portefeuille !
Hausse des taux d’intérêt et expansion des multiples allant rarement de pair, l’avenir n’est pas des plus radieux.
Après avoir fait des projections aux allures de promesses bien trop optimistes (tel ce conseiller en investissement financier qui écrit que le private equity délivre un rendement annuel net de frais et d’impôts de 15% et qui ose ajouter que « cette hypothèse est conservatrice »), il va falloir gérer les clients privés, dont la déception risque d’être à la hauteur des attentes.
Et ce d’autant plus que les données historiques de performance mises en avant concernent des fonds qui n’ont rien à voir dans leur fonctionnement avec la version « démocratisée » vendue aux particuliers, à savoir, dans la plupart des cas, des fonds « evergreen ».
Ça me rappelle la publicité pour le Canada Dry.
Cette chronique, rédigée le 16 avril 2024, est parue initialement dans le numéro de mai 2024 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de page, ni les liens.