Ma Semaine Twitter 28 de 2023
J'avais raconté il y a quelques semaines comment j'étais tombé sur un simulateur de performance pour le moins optimiste : celui de Linxea, un des importants courtiers d'assurance vie (et de PER) sur internet.
Le profil le plus agressif correspondait en effet à une performance annuelle moyenne de... 12%.
Je rappelai ceci :
Les actions Etats-Unis ont délivré entre 1900 et fin 2022 une performance annualisée nominale de 9,5% et une performance annualisée nette d’inflation de 6,4%.
Au sujet des hypothèses utilisées par ce simulateur, je parlai même de "charlatanisme financier". Ai-je été entendu ?
Les hypothèses de performance annuelle du même simulateur Linxea ont évolué. Dans le bon sens. A la baisse. Et pas qu'un peu.
N'oubliez jamais que les simulations, comme les promesses, n'engagent que ceux qui les écoutent.
On se lamente à juste titre du niveau médiocre de littératie financière[efn_note]Selon la belle définition de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (source) : "La littératie financière est le fait de disposer des connaissances, des compétences et de la confiance en soi nécessaires pour prendre des décisions financières responsables."[/efn_note] des particuliers dans le monde entier, et en particulier en France.
Si les professionnels ne font pas mieux, on est mal partis.
J'aime beaucoup Jean-Claude Grumberg, homme de théâtre, scénariste et romancier né le 29 juillet 1939 à Paris. Raflés sous ses yeux, son père et ses grands-parents meurent en déportation.
L'Atelier (1979) est une pièce de théâtre magnifique. Grumberg a connu un grand succès en 2019 avec La Plus Précieuse des marchandises, un conte. En 2021, après la mort de sa femme, il a écrit le bouleversant Jacqueline Jacqueline.
Je viens de lire son dernier ouvrage, De Pitchik à Pitchouk, paru dans la magnifique collection La Librairie du XXIe siècle au Seuil, dirigée jusqu'à sa mort par Maurice Olender (1946-2022), auquel Grumberg rend un bel hommage à la fin de son livre.
Vous savez quoi ? Même plus la peine de me rendre à Bagneux sous les tilleuls verts de la 91e division, madame Rosenberg me poursuit la nuit jusque dans mon lit, en tout bien tout honneur étant donné son état et le mien. La nuit dernière elle est venue en catimini me raconter comment Baruch, selon Isy, a conquis le coeur de Zina d'une seule phrase et sans même le faire exprès.
Sur ce banc, boulevard Rochechouart à la hauteur du square d'Anvers, cette nuit de 1922 — les années folles, disait-on, vous en souvenez-vous ? —, sur ce banc où ils passèrent sans se toucher la première de toutes leurs nuits passées côte à côte, après avoir en long en large et en travers évoqué les pogroms d'avant la Grande Guerre, ceux de la Grande Guerre, ainsi que la misère permanente, la peur, la haine et l'avenir obscurci, Zina demanda soudain à Baruch de sa voix d'oiseau moqueur qui faisait chanter le yiddish et ravissait les coeurs, pourquoi, lorsque deux Yids se rencontrent à l'autre bout du monde, pourquoi éprouvent-ils ainsi le besoin de se raconter en détail leurs malheurs passés. Sans réfléchir Baruch répondit en riant : "Pour mieux supporter les malheurs présents et se préparer à accueillir les malheurs futurs."
Se sont-ils souvenus de cette conversation dans l'enfer du wagon à bestiaux qui les transportait à toute vapeur vers l'un de ces abattoirs dressés en hâte quelque part dans les environs de Pitchik et Pitchouk ? Thomas Cantaloube s'intéresse à des aspects peu connus, embarrassants et occultés des débuts de la Ve République. Il en a tiré une trilogie.
Dans Requiem pour une République, qui se passe en 1959, on découvrait trois personnages : Antoine Carrega, un ancien résistant travaillant pour des truands, Sirius Volkstrom, un ancien collabo devenu exécuteur des basses oeuvres d'un préfet nommé Maurice Papon, et Luc Blanchard, un jeune flic idéaliste, tous à la recherche de l'assassin d'un avocat algérien lié au FLN et de sa famille.
On retrouvait les trois mêmes personnages dans Frakas, qui se passe en 1962. Luc Blanchard, devenu journaliste à France Observateur, enquête sur l'assassinat à Genève en 1960 d'un membre de l'Union des populations du Cameroun, sans doute par les services secrets français. 1960, c'est l'année de l'indépendance de ce pays qui fut une colonie française, dont le premier président, Ahmadou Ahidjo (1924-1989), était très proche de Jacques Foccart (1913-1997), le très sulfureux monsieur Afrique de Charles de Gaulle.
J'ai lu ce week-end le troisième opus de la trilogie, Mai 1967. Les trois héros sont toujours là : Antoine Carrera a changé de nom, il s'appelle dorénavant Lucchesi, et Luc Blanchard vit, marié et père d'une petite fille, à la Guadeloupe, où les employés du bâtiment se mettent en grève. Laquelle grève est violemment réprimée par les forces de l'ordre, au prix d'un nombre de blessés et de morts que la préfecture ne communique pas.
Ces événements, peu connus du grand public en métropole, se sont produits. L'ouvrage collectif Guadeloupe, mai 1967 - Massacrer et laisser mourir, dirigé par Elsa Dorlin, Mathieu Rigouste et Jean-Pierre Sainton, parle "d'effacement mémoriel".
L'historien Benjamin Stora a présidé à une "commission d'information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe". Son rapport, remis le 22 novembre 2016, est ici.
Il y a au MuMa (Musée d'art moderne André Malraux) du Havre une magnifique exposition consacrée à Albert Marquet et la Normandie. C'est jusqu'au 24 septembre.
Le 14 juillet au Havre (1906), huile sur toile. Bagnols-sur-Sèze, musée Albert-André. Dépôt du Centre Pompidou, MNAM/CCI, Paris, donation Adèle et Georges Besson, 1963.
Au potager, les choses suivent leur cours : les tomates et les courges mûrissent. Dans le jardin, la bignone[efn_note]On dit aussi jasmin de Virginie, c'est plus joli, non ?[/efn_note]est en fleur.
Plus que deux semaines avant de remplir le coffre de la voiture !
https://twitter.com/E_Dorsay/status/1679405051477913601?s=20
Bienvenue dans ma semaine Twitter 28 de 2023.
Entre le marteau et l'enclume
Le 22 janvier 2012 d'immortelles paroles électorales furent prononcées.
Dans cette bataille qui s'engage, je vais vous dire qui est mon adversaire. Mon véritable adversaire. Il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature. Il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance.
Pourquoi pas, quand on est en campagne tous les coups sont permis et "le monde de la finance" est un punching-ball pratique. A gauche comme à droite d'ailleurs.
Ça, c'est le marteau.
L'enclume, c'est ce "monde de la finance". Ou une partie de celui-ci, incarnée par Paris Europlace, une association qui se présente ainsi (source) :
Paris Europlace regroupe plus de 600 acteurs de l’écosystème financier — banques, assurances, gestionnaires d’actifs, intermédiaires, fintechs, entreprises industrielles et commerciales, sociétés de conseil, cabinets d’avocats, acteurs publics… : un réseau unique pour réunir toutes les parties prenantes de la place financière de Paris et échanger sur leurs priorités.
Ça, c'est l'enclume.
Entre le marteau et l'enclume, des millions d'épargnants.
L'enclume a organisé les 4 et 5 juillet sa grande conférence annuelle, Paris Finance Forum.
Augustin de Romanet, par ailleurs président d'ADP (Aéroports de Paris), est l'actuel président de Paris Europlace. C'est lui qui a prononcé le discours inaugural de Paris Finance Forum.
Il a présenté les atouts — nombreux — de la place financière en France, les défis et les menaces.
https://twitter.com/AlphaBetaBlogFR/status/1678736254148419585?s=20
3 menaces :
L'instabilité réglementaire.
L'interdiction des rétrocessions.
La transférabilité fiscale de l'assurance vie.
Sur le grave sujet de l'interdiction des rétrocessions (qui n'a finalement pas été proposée par la commission européenne), voici ce que monsieur de Romanet a dit :
Deuxième sujet : la remise en cause des modèles économiques de distribution des produits financiers en France et en Europe. Prenons garde à ce que la suppression de la faculté de rétrocession sur les produits financiers ne réserve le conseil aux plus riches. C'est ce qui se passe en Grande-Bretagne, c'est ce qui se passe aux Pays-Bas, ça n'est pas ce que nous voulons pour la France.
Et voilà, alors que pas grand chose, sinon rien, ne prouve que l'interdiction des rétrocessions au Royaume-Uni et aux Pays-Bas a réservé le conseil aux plus riches, l'argument est répété en choeur par l'écosystème.
Et tant pis si les organisations qui disent parler au nom des consommateurs de produits financiers sont pour l'interdiction des rétrocessions : l'écosystème sait ce qui est bon pour les consommateurs mieux qu'eux-mêmes et que leurs porte-paroles.
La transférabilité totale de l'assurance vie serait également une très grave menace :
Et enfin, troisième menace, particulièrement sensible pour les assureurs, je citerais la transférabilité de l'antériorité fiscale de l'assurance vie, qui réduirait la durée des investissements et la capacité de financement de l'économie à long terme.
Le changement, c'est l'apocalypse garantie ! J'avais parlé ici de la faiblesse de l'argument selon lequel la transférabilité réduirait la durée des investissements quand il avait été mis en avant par France Assureurs et j'avais même hasardé une piste.
Pauvre épargnant en France : coincé entre une vision caricaturale du monde de la finance et l'immobilisme du lobby des banquiers, des assureurs et des vendeurs de produits de placement qui veut que rien ne change pour que rien ne change, il est bien à plaindre.
Il me rappelle le petit chaperon rouge de Charles Perrault.
Le petit chaperon rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa mère-grand était faite en son déshabillé. Elle lui dit : - Ma mère-grand que vous avez de grands bras ! - C'est pour mieux t'embrasser ma fille. - Ma mère-grand que vous avez de grandes jambes ! - C'est pour mieux courir mon enfant. - Ma mère-grand que vous avez de grandes oreilles ! - C'est pour mieux écouter mon enfant. - Ma mère-grand que vous avez de grands yeux ! - C'est pour mieux voir mon enfant. - Ma mère-grand que vous avez de grandes dents ! - C'est pour te manger.
Et en disant ces mots, le méchant loup se jeta sur le petit chaperon rouge, et la mangea. Et ce n'est pas le dernier épisode du psychodrame national qu'est chaque révision du taux de rémunération du livret A qui va changer quoi que ce soit : l'application de la formule de calcul conduisait à un nouveau taux de 4,1%.
Vous n'y pensez pas, se sont écriés banquiers et assureurs[efn_note]Ces derniers par crainte que le montant des sorties du fonds euro n'augmente.[/efn_note], c'est trop !
Heureusement, il existe une possibilité de dérogation.
Selon le communiqué de la Banque de France, qui propose le nouveau taux au Ministre de l’Économie des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (italique ajouté par mes soins),
Un taux trop élevé, alors que l’épargne réglementée n’a pas d’équivalent chez nos voisins européens, serait préjudiciable à notre activité économique et à la croissance.
Je me demande bien ce que nous attendons pour suggérer à nos voisins européens d'imiter notre système d'épargne réglementée, qui semble pourtant ne faire l'admiration de personne.
Ce sera donc 3%, mais — cadeau — ce taux est garanti jusqu'à fin 2025.
Veinards.
La Banque de France rappelle par ailleurs que "1% de taux de Livret A en plus signifierait 32 000 logements sociaux en moins, soit un tiers de la production annuelle."
De même que Paris valait bien une messe, le logement social vaut bien un petit sacrifice — 1,1 point de pourcentage par an — pour les détenteurs d'un livret A ou d'un LDDE.
C'est pour mieux te loger mon enfant.
L'autre Bernstein
Chez les auteurs importants en matière de finance, il y a eu Peter L. Bernstein (1919-2009). Bernstein était un historien de la finance, un auteur, un grand vulgarisateur. Il fut aussi gérant de portefeuilles.
Son ouvrage le plus populaire, paru en 1998, est consacré au risque : Against The Gods - The Remarkable Story of Risk.
Un autre Bernstein a pris le relais de Peter aux Etats-Unis : William J. ("Bill") Bernstein a d'abord été neurologue puis il est devenu conseiller financier ainsi qu'auteur de livres à succès.
Il a notamment écrit The Four Pillars of Investing, paru en 2002, dont une nouvelle édition vient de paraître aux Etats-Unis (elle ne sera disponible en Europe que fin août).
Il était l'invité de Christine Benz et de Jeff Ptak, CFA, dans l'excellent podcast de Morningstar, The Long View.
https://twitter.com/philmop/status/1679505964263784449?s=20
Les quatre piliers mentionnés par le titre du livre de Bernstein sont :
La théorie : rendement et risque vont de pair, vous ne pouvez pas gagner d'argent sans prise de risque.
L'histoire : il faut connaître et comprendre les marchés d'hier pour comprendre ceux d'aujourd'hui.
La psychologie : il faut éviter les erreurs comportementales les plus fréquentes, très préjudiciables aux portefeuilles.
Le business : le coût des services d'investissement peut être élevé, déraisonnablement élevé.
Ptak demande à Bernstein pour quelles raisons il a travaillé sur une nouvelle édition de son livre.
Tout d'abord pour faire passer le message suivant : s'inspirant de Robert D. Kaplan — un spécialiste de géopolitique pour qui les relations internationales sont déterminées par la géographie autant que par l’imprévisibilité shakespearienne des acteurs —, Bernstein estime que l'investissement, c'est 50% de mathématiques et 50% de Shakespeare.
Il entend par là le fait que
l'histoire, particulièrement l'histoire économique et financière, mais aussi la géopolitique, est une maîtresse cruelle. L'autre partie liée à Shakespeare, c'est que le pire ennemi que vous avez quand vous investissez, c'est le visage qui vous contemple quand vous vous regardez dans un miroir.
Variante de ce qu'écrivait Benjamin Graham :
The investor's chief problem, and even his worst enemy, is likely to be himself.
A savoir :
Le principal problème de l'investisseur, et même son pire ennemi, c'est probablement lui-même.
L'autre raison de mettre à jour son livre pour Bernstein, c'est d'insister sur une notion fondamentale, dont l'importance est apparue dans les deux dernières décennies, qui ont été riches de crises financières : oui, la capitalisation produit des résultats exceptionnels, à condition de ne jamais l'interrompre, conformément aux préceptes de Charlie Munger.
Vous ne devez pas construire votre portefeuille en ayant en tête 98% du monde tel qu'il est 90% du temps. Vous devrez le construire en ayant en tête la pire période (2% du total) afin de ne jamais interrompre la capitalisation. Traduit simplement, vous devriez probablement détenir plus d'actifs sûrs que ce que vous pensez. Dit autrement, un portefeuille sous-optimal que vous pouvez conserver est supérieur à un portefeuille très exposé aux actions que vous ne pourrez pas conserver.
Bernstein, qui est incidemment un partisan et un utilisateur pour ses clients de la gestion indicielle à bas coûts, insiste sur un autre point, toujours lié à la psychologie :
A chaque fois qu'une personnalité est charismatique au point d'être dans tous les médias, soyez sur vos gardes. [...] Quand un gérant d'actifs ou un dirigeant d'entreprise est dans tous les médias, la probabilité qu'il s'agisse d'une fraude majeure est d'au moins 50%.
A l'appui de sa thèse, il mentionne Elizabeth Holmes (Theranos), Sam Bankman-Fried (FTX) et... Cathie Wood (Ark Invest), bien qu'il ne s'agisse pas de fraude pour cette dernière.
Ecoutez la totalité du podcast, ou lisez-en la transcription, il est très riche.
Dans un domaine différent excellait un autre Bernstein : Leonard, le chef d'orchestre et compositeur (1918-1990), qui fut lui aussi un excellent vulgarisateur. Renaud Machart lui avait consacré une biographie parue en 2007 : Leonard Bernstein.
Ce Bernstein composa la musique de l'admirable West Side Story (1961) de Robert Wise.
Pour la route, "Tonight, tonight, it all began tonight".
De Robert D. Kaplan, vous pouvez lire La revanche de la Géographie, The Tragic Mind: Fear, Fate, and the Burden of Power, et l'entretien qu'il avait donné à l'excellente revue Le Grand Continent en juin 2020.
Eloge de la paresse
Paul Lafargue (1842-1911) était le gendre de Karl Marx (1818-1883), dont il avait épousé la fille Laura (1845-1911).
Lafargue avait publié en 1880 Le droit à la paresse, paru en feuilleton à partir de 1873 dans L'Égalité, le journal de Jules Guesde (1845-1922).
Sa thèse ? L'amour du travail est un dogme désastreux.
Pour qu’il parvienne à la conscience de sa force, il faut que le prolétariat foule aux pieds les préjugés de la morale chrétienne, économique, libre penseuse ; il faut qu’il retourne à ses instincts naturels, qu’il proclame les Droits de la Paresse, mille et mille fois plus sacrés que les phtisiques Droits de l’Homme concoctés par les avocats métaphysiques de la révolution bourgeoise ; qu’il se contraigne à ne travailler que trois heures par jour, à fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit.
C'est étonnant, ces "phtisiques Droits de l'Homme" appartiennent aujourd'hui au registre de l'extrême-droite, alors que Lafargue était socialiste.
Joe Wiggins, CFA, mon blogueur favori en matière de finance comportementale (Behavioural Investment) ne va pas jusqu'à parler de droit à la paresse pour les investisseurs, mais il considère qu'il y a un biais en faveur de l'action qu'il faut combattre.
Il fait en quelque sorte l'éloge de la paresse. Selon lui, ne rien faire devrait être l'option par défaut des investisseurs.
https://twitter.com/philmop/status/1678690663490105344?s=20
Il se demande pourquoi il est considéré comme allant de soi qu'un investisseur doit être en permanence actif. Il avance plusieurs explications.
Dans la mesure où les marchés changent constamment, notre portefeuille doit faire la même chose.
Nos biais comportementaux nous poussent à agir.
Alors que des périodes de sous-performance sont inévitables, nous sommes incapables de les supporter longtemps et sommes poussés à faire des transactions pour y mettre fin.
Nous devons justifier en permanence notre carrière, les frais que nous facturons, notre poste. Pour Wiggins, "l'action est un choix de carrière rationnel et un impératif institutionnel, mais ce n'est pas souvent dans le meilleur intérêt des clients."
Nous avons besoin de raconter des histoires. Or si nous ne faisons rien, il est difficile de raconter l'inactivité. Alors nous agissons pour pouvoir raconter des histoires.
S'il y a des facteurs qui nous poussent à agir, il y a plusieurs bonnes raisons de ne pas agir.
Les prédictions sont rarement couronnées de succès.
Il y a de bonnes raisons pour justifier la diversification, : la meilleure étant que nous sommes incapables de prédire le futur. Un portefeuille diversifié contient généralement toujours des actifs qui performent et d'autres qui déçoivent. Un niveau adéquat de diversification doit nous permettre de moins agir.
Le cumul de transactions trop fréquentes et de mauvaises décisions pèse sur la performance future de notre portefeuille.
Applications pour un investisseur privé ? Après avoir choisi une allocation d'actifs, l'avoir répliquée avec des fonds indiciels à bas coûts quand c'est possible, et sauf changements importants de la situation de l'investisseur, se contenter de rééquilibrer périodiquement le portefeuille pour rétablir les pondérations initiales des instruments.
Rien de plus.
Joe Wiggins est l'auteur de The Intelligent Fund Investor - Practical Steps for Better Results in Active and Passive Funds.
Sur l'importance des narratifs et du storytelling, lisez le livre de Robert Shiller, Narrative Economics - How Stories Go Viral and Drive Major Economic Events.
Dans un registre connexe, le même Shiller a écrit avec Robert Akerlof Les Esprits animaux - Comment les forces psychologiques mènent la finance et l'économie.
On ne connaît pas bien Jules Guesde, même si de nombreuses rues de villes qui furent ou sont à gauche portent son nom.
Jean-Numa Ducange a écrit une biographie de ce méconnu : Jules Guesde - L'anti-Jaurès ?
Du côté de chez Lars
Avertissement : j’assiste depuis novembre 2022 l’Association Collectif Porteurs H2O dans le cadre d’une mission rémunérée (détails ici). Cette mission est suspendue depuis avril 2023 mais est susceptible de redémarrer. A vous de déterminer si elle influe sur ma couverture de l’affaire H2O AM sur ce blog.
J'avais rappelé ici la désolante trajectoire de Lars Windhorst, espoir déçu du monde des affaires en Allemagne, après un début prometteur à 16 ans.
Poursuivi en justice à Londres par un de ses multiples créditeurs, Manfredi Lefebvre d’Ovidio, Lars avait écopé d'une condamnation pour outrage à la cour car il avait tendance à ne pas assister aux audiences.
Il a compris le message et a assisté à une récente audience de son procès, à laquelle était également présent Robert Smith, un des deux journalistes[efn_note]L'autre étant Cynthia O'Murchu.[/efn_note] du Financial Times qui avaient révélé en juin 2019 la présence de titres peu ou pas liquides émis par des entités liées à Windhorst dans certains fonds gérés par H2O AM.
https://twitter.com/AlphaBetaBlogFR/status/1679400508048408580?s=20
En 2021, Windhorst et plusieurs de ses sociétés avaient été condamnés à verser 172 millions d’euros à Lefebvre d’Ovidio. Comme seulement 50 millions d’euros auraient pour le moment été versés, Lefebvre d’Ovidio a attaqué Windhorst.
Un des angles d'attaque des avocats du plaignant a été de dire qu'en dépit de ses dettes monumentales, Windhorst avait toujours un train de vie très dispendieux[efn_note]Et donc qu'il pouvait sans doute rembourser le solde des montants accordés à Lefebvre d’Ovidio.[/efn_note]. Peu de temps après le jugement de 2021, Lars aurait dépensé des milliers de livres sterling dans des restaurants et des bars et commandé pour 15000 euros de vin[efn_note]Je me demande toujours comment les avocats dénichent de telles informations.[/efn_note].
Mais non, répondit Lars, toutes ces dépenses sont liées à ses affaires et il travaille sept jours sur sept.
Je veux me débarrasser de mes dettes personnelles, je ne veux plus jamais avoir de dettes personnelles.
Des dettes personnelles, il semble en avoir. Beaucoup.
Il a ainsi déclaré avoir donné à H2O Asset Management une garantie personnelle pour un "montant initial nominal" de dettes d'environ 2,5 milliards d'euros.
Ce qui confirme mon estimation des achats de titres Tennor par des fonds H2O : plus de 2,25 milliards d'euros. Ce serait donc 2,5 milliards.
Je rappelle que ces titres avaient été estimés à 1,642 milliard d'euros à la création des side-pockets, qu'ils sont estimés aujourd'hui[efn_note]Sur la base de la valeur estimative au 28 février 2023, la dernière publiée par H2O AM au 17 juillet 2023 à 14 heures.[/efn_note] à 945 millions d'euros et qu'il y a eu pour le moment un seul et unique remboursement de 144 millions d'euros en janvier 2023.
Si le total investi chez Windhorst par des fonds H2O AM est bien de 2,5 milliards, ce sont pour le moment 1,7 milliard d'euros (945 millions + 144 millions - 2,5 milliards) qui se sont volatilisés.
Sacré Lars !
En plus de Lefebvre d'Ovidio et de H2O AM, qui semble ne jamais l'avoir assigné en justice, Lars a emprunté de l'argent à d'autres partenaires de qualité : Segun Adebutu, un magnat nigérian du pétrole, Henry Gabay, un financier turco-helvète[efn_note]On a déjà rencontré ce personnage dans le H2Ogate, puisqu'il détenait Merit Capital, un courtier belge avec lequel H2O AM a indiqué avoir fait des transactions de buy and sell back sur des titres Windhorst, alors que Merit Capital a toujours nié avoir fait lesdites transactions. J'en avais parlé ici.[/efn_note] et l'entrepreneur allemand Friedrich Knapp, un des actionnaires de New Yorker GmbH, une chaîne de fast fashion à destination des jeunes[efn_note]D'après Bloomberg, Knapp et un autre entrepreneur allemand, Ulrich Marseille, se seraient engagés en 2020 à racheter pour 595 millions de dollars de titres Windhorst illiquides à H2O AM.[/efn_note].
Windhorst a confirmé avoir apporté en garantie sa collection d'art à une des sociétés de Knapp. Zut, il ne pourra pas la vendre pour rembourser les side-pockets H2O.
En revanche, il pourra toujours vendre sa collection de montres, dont il estime la valeur à 600 000 euros. Ou sa collection de 1000 bouteilles de vin.
Mais il ne pourra pas vendre son yacht de 74 mètres de long, Global, car il l'a déjà vendu. Il ne lui reste qu'un Wajer 55, plus petit.
Et, détenus par des trusts, deux avions d'affaires Bombardier. Le propre des trusts, c'est qu'il est impossible de saisir leurs actifs.
L'horizon ne s'éclaircit pas pour les side-pockets H2O.
Des nouvelles du #H2Ogate
Avertissement : j'assiste depuis novembre 2022 l'Association Collectif Porteurs H2O dans le cadre d'une mission rémunérée (détails ici). Cette mission est suspendue depuis avril 2023 mais est susceptible de redémarrer. A vous de déterminer si elle influe sur ma couverture de l'affaire H2O AM sur ce blog.
J’attends avec une impatience grandissante la mise à jour des valeurs mensuelles estimatives des 7 side-pockets à fin mars. Depuis le début de l’année, elle advenait dès le début du mois. Les valeurs estimatives en ligne sur le site de la société de gestion le 17 juillet à 14 heures étaient toujours celles de fin février.
H2OAM a déjà suspendu la mise à jour des valeurs mensuelles estimatives des side-pockets : celles de fin avril et fin mars 2021 puis de fin septembre, fin octobre et fin novembre 2021, puis de fin octobre et fin novembre 2022 n’avaient pas été publiées.
C'est bien entendu dans un souci de transparence, pour maximiser la performance et la liquidité des actifs Windhorst pourris.
Le hold-up légal consistant à faire absorber les parts R de certains fonds par les parts SR de ces mêmes fonds, bien plus chères, a en théorie eu lieu le 6 juillet dernier. J'avais parlé de ces nouveaux outrages infligés aux porteurs de parts ici.
Au 17 juillet, les dates des dernières valeurs liquidatives publiées sur le site de H2O AM fluctuent entre le 12 juillet (pour les fonds qui n'avaient pas de parts SR et n'étaient donc pas concernés par le hold-up légal) et le 5 ou le 6 juillet pour les fonds ayant été victimes du hold-up légal.
Est-ce que cela veut dire que la transition a été plus compliquée que prévu ?
Depuis la scission des 7 fonds sinistrés de H2O AM, il est très difficile de reconstituer la performance des « vieux » fonds d’avant la scission.
Je me livre à l’exercice en calculant une valeur liquidative reconstituée, égale à la somme de la valeur liquidative des « nouveaux » fonds liquides (FCP à la fin du nom) et de la valeur liquidative mensuelle estimative des side-pockets.
Cette valeur liquidative reconstituée est une fiction, car aucune transaction n’est possible sur les side-pockets.
Mais elle permet de voir où en sont les porteurs de parts. Notamment par rapport au plus-haut historique atteint par les « vieux » fonds avant qu’ils ne heurtent des icebergs et fassent naufrage en février et mars 2020.
Autre limite de l’exercice : rien ne dit que les porteurs de parts récupèreront l’équivalent de la dernière valeur liquidative estimative des side-pockets. On ne le saura que quand toutes les participations illiquides auront été revendues au seul acheteur, Tennor, la holding de Lars Windhorst.
Ou plus exactement au fur et à mesure du remboursement par Tennor de la « first super senior secured note » (FSSSN) émise par Tennor, portant intérêt au taux annuel de 4,5% et prévoyant la possibilité de remboursements intermédiaires. Je rappelle (j’en avais parlé ici) que le remboursement total était initialement prévu début 2022. Les créanciers de Tennor, pour éviter la mise en liquidation de la société imposée par un tribunal néerlandais, ont consenti un délai supplémentaire de 6 mois (soit un remboursement début juillet 2022).
Je rappelle aussi que, comme de bien entendu, il n'y a eu aucun remboursement entre juillet et décembre 2022 de la part de Tennor.
Début janvier 2023, H2O AM a laissé entendre dans un communiqué sybillin que Tennor avait procédé fin 2022 à un premier remboursement partiel susceptible de permettre de diminuer le nominal de la FSSSN de 250 millions d'euros.
En fait de 250 millions, ce sont 144 millions qui ont été remboursés d'après mes calculs.
Par ailleurs, un porte-parole de Tennor avait déclaré début janvier au quotidien régional allemand Westfallen-Blatt que la holding de Lars Windhorst avait procédé en 2022 à plusieurs remboursements partiels de la FSSSN, dont un fin 2022 pour solde de tout compte.
Voilà où on en est au 5 juillet 2023 (date de la VL des fonds liquides dont le nom se termine par « FCP », la dernière valeur liquidative mensuelle estimative des side-pockets étant en date du 28 février 2023). J'ai ajouté à la VL reconstituée le montant de la distribution du 23 janvier 2023.
En matière de décollecte, voilà où on en est.
En matière de performance, voilà où on en est.
Les produits dont il a été question dans ma semaine Twitter 28 peuvent être achetés en priorité chez votre libraire (pour les livres).
Sinon, si vous n’avez vraiment pas accès à un libraire, ou pour les livres en anglais, parfois plus difficiles à se procurer en librairie en France, vous pouvez cliquer sur les liens ci-dessous (informations sur le programme d’affiliation Amazon ici).
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C’était ma semaine Twitter 28 de 2023. Sayōnara. さようなら.
Illustration : Mohamed Hassan de Pixabay