On a sauvé le soldat Rétrocessions
Interdire l’emploi des sels nitrités dans la charcuterie parce qu’ils sont cancérogènes ? Vous n’y pensez pas ! Les 4300 cancers annuels, surtout colorectaux, causés par la consommation de charcuterie en France ne pèsent pas lourd face au lobby et aux mensonges des industriels. Et tant pis pour la santé publique (source).
Permettre la transférabilité externe des contrats d’assurance vie ? Vous n’y pensez pas ! Ce serait « dangereux pour les épargnants, qui verront la rentabilité de leur épargne se réduire » et « dangereux pour le financement à long terme de l’économie » selon la dirigeante de France Assureurs, Florence Lustman (source).
Interdire les rétrocessions ? Vous n’y pensez pas ! Une telle interdiction » aurait un coût social significatif » et « les premiers perdants seraient les épargnants » (toujours selon madame Lustman).
L’écosystème de la gestion et de la distribution de produits financiers a réalisé l’union sacrée pour s’opposer à l’interdiction des rétrocessions envisagée par la commissaire européenne aux services financiers, à la stabilité financière et l’union des marchés de capitaux, Mairead McGuinness.
Des régulateurs et les ministères des finances français et allemand se sont joints aux lobbies pour prévenir l’apocalypse qu’aurait représentée selon eux l’interdiction des rétrocessions.
Les partisans de l’immobilisme et des frais excessifs se sont élevés contre un projet liberticide qui menaçait les épargnants français d’un « advice gap » inventé de toutes pièces, reposant sur « certaines études, dont les conclusions restent à débattre » selon Anne-Marie Barbat-Layani, la présidente de l’AMF (source).
L’immobilisme a gagné : Mairead McGuinness a fait savoir qu’elle ne proposerait pas à la Commission européenne d’interdire les rétrocessions dans le cadre de la mise en place de la stratégie de l'Union européenne pour les investisseurs de détail.
Tant pis si les associations de consommateurs disant s’exprimer au nom de ces mêmes investisseurs de détail étaient en faveur de l’interdiction des rétrocessions.
Pourtant, la Commission européenne affirme de nouveau qu’une interdiction serait la mesure la plus efficace pour prévenir les conflits d’intérêts potentiels. Mais voilà, les conséquences d’une telle interdiction sur les réseaux de distribution étant difficiles à évaluer, les intérêts des lobbies ont prévalu sur ceux des consommateurs. Comme presque toujours.
Parmi les rares bonnes nouvelles, la Commission proposerait d’interdire les rétrocessions dans le cas d’une prestation ne comportant pas de conseil. Ce qui posera des problèmes aux courtiers en ligne distribuant des contrats d’assurance vie en gestion libre, dans lesquels il n’y a aujourd’hui aucun conseil.
Par ailleurs, trois ans après l’entrée en vigueur de la stratégie européenne, une évaluation sera faite et s’il apparaît que les consommateurs continuent d’être maltraités, l’interdiction des rétrocessions pourrait être imposée. Sur quels critères la maltraitance sera-t-elle évaluée ? Celui des frais ? Mystère.
Autre proposition : demander à l’ESMA et à l’EIOPA de créer des benchmarks permettant d’évaluer le rapport qualité/prix des produits financiers.
Cette piste ressemble aux rapports Assessments of value (AoVs) que doivent produire depuis septembre 2019 les gérants de fonds domiciliés au Royaume-Uni, dans lesquels ils doivent expliquer quelles mesures ont été prises quand les frais étaient trop élevés par rapport aux performances délivrées.
Les espoirs initiaux mis dans les AOVs ont été déçus. Si quelques gérants ont baissé les frais de fonds sous-performants, dans la majorité des cas, c’est business as usual : il est toujours possible de justifier un niveau de frais trop élevé, même quand la performance n’est pas au rendez-vous.
Grâce au lobbying acharné de l’écosystème de la finance en faveur du statu quo et des prix élevés, les intérêts privés ont prévalu.
Le dindon de la farce, c’est le consommateur. De charcuterie comme de « conseils » financiers.
Cette chronique, rédigée le 12 mai 2023, est parue initialement dans le numéro de juin 2023 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de page, ni les liens.