RIS : on commence à y voir plus clair
Si les rétrocessions sauvent leur peau, la Value for Money est introduite, ainsi que de nouveaux principes fondamentaux
La première mouture de la stratégie d’investissement de détail de l’Union européenne (RIS, pour Retail Investment Strategy) avait suscité une levée de bouclier de tous les lobbies de la finance.
Pensez donc, la commissaire européenne Mairead McGuinness osait proposer l’interdiction des rétrocessions.
Vous n’y pensez pas ! Une telle interdiction « aurait un coût social significatif » et « les premiers perdants seraient les épargnants », selon Florence Lustman, la président de France Assureurs.
Les efforts combinés des lobbies et de certains Etats de l’Union européenne — dont la France — ont eu raison de presque toutes les mesures initialement proposées. Après le vote d’un projet par le Parlement européen le 23 avril, c’est le Conseil européen qui a arrêté sa position le 12 juin.
Je rappelle que l’objectif — fort louable — de la RIS « est de donner aux investisseurs de détail (c'est-à-dire les investisseurs « consommateurs ») les moyens de prendre des décisions d'investissement en adéquation avec leurs besoins et leurs préférences, tout en veillant à ce qu'ils soient traités équitablement et dûment protégés. »
Voici les principales mesures de la version de la RIS qui sera discutée entre les différentes institutions de l’UE.
Pas d’interdiction des rétrocessions (« inducements »), y compris pour les services d’exécution. Le Conseil rappelle que les rétrocessions sont déjà interdites dans les cas du conseil financier indépendant et de la gestion de portefeuille, à de rares exceptions près.
Introduction d’un test (« inducement test ») quand il n’y a pas d’interdiction.
Introduction d’un nouveau test spécifiant le devoir pour les conseillers financiers d’agir au mieux des intérêts du client.
Transparence accrue et communication sur les paiements considérés comme des rétrocessions, leurs coûts et leur impact sur la performance des placements.
Le Conseil a également introduit des principes fondamentaux (« overarching principles ») qui s’appliqueront aux entités qui payent ou reçoivent des rétrocessions.
Selon ces principes, les rétrocessions ne doivent pas inciter les sociétés à recommander des produits en particulier plutôt que d’autres, ne doivent pas être disproportionnés par rapport à la valeur offerte par les produits, et les rétrocessions payées à ou acceptées par des entités appartenant au même groupe doivent être traitées de la même manière que les autres.
Dans le rapport annuel 2023 du pôle assurance banque épargne commun à l’AMF et à l’ACPR, on lit que l’ACPR, lors de son analyse des rétrocessions perçues par les intermédiaires et des modalités de rémunération de leurs conseillers, a constaté « une différence de rémunération importante en fonction des supports (en euros ou en unités de compte). »
Pire encore, « certains intermédiaires privilégient également ceux conçus par des sociétés de gestion avec lesquelles ils ont des liens capitalistiques, ce au détriment de l’intérêt des clients. »
Enfin, « il a été constaté des rémunérations de conseillers indexées sur le type de versements ou la commercialisation de certaines unités de compte plus rémunératrices ou appartenant à des sociétés du même groupe. »
Autant dire que l’introduction de principes fondamentaux dans la RIS va mettre fin à ces pratiques emblématiques de la présence endémique de conflits d’intérêts dans la distribution de produits de placement.
Le concept de Value for Money, également combattu par les lobbies qui craignaient à juste titre son effet déflationniste sur les frais de gestion, est maintenu et laisse aux Etats membres le choix entre deux benchmarks pour évaluer le rapport qualité/prix des produits de placement : un benchmark européen ou un groupe de référence. Le cadre de Value for Money sera réévalué au bout de sept ans.
Le Conseil rappelle que les Etats membres restent libres de maintenir l’interdiction des rétrocessions, de l’introduire, ou d’adopter des mesures plus strictes que celles de la RIS.
Le feuilleton continue.
Cette chronique, rédigée le 14 juin 2024, est parue initialement dans le numéro de juillet 2024 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens