Quand les rétrocessions ruissellent
L’Union européenne réfléchit depuis 2021 à une stratégie pour les investisseurs de détail ayant pour but « de donner assurance et confiance aux consommateurs qui investissent sur les marchés des capitaux, d'améliorer les résultats sur les marchés et d'accroître la participation des consommateurs. »
Si je comprends bien ce que la Commission européenne écrit, les « consommateurs qui investissent sur les marchés des capitaux » sont au cœur des réflexions, et c’est tant mieux.
Il existe deux modèles en matière de rémunération du conseil financier : les rétrocessions (ou « inducements » dans le jargon anglais), à savoir le reversement par le fournisseur du produit d’une rémunération au « conseiller » ; et les honoraires, à savoir le paiement de la prestation de conseil par le client à son intermédiaire.
Dans le premier modèle, le client ne reçoit pas de facture et n’a rien à régler. Il supporte néanmoins des frais, dont le niveau est fixé par le fournisseur du produit, pas par le « conseiller ».
C’est très confortable pour tout le monde, mais ça ne fonctionne que quand les frais du produit vendu sont suffisamment élevés pour permettre au fournisseur d’en reverser une partie au vendeur. Ce dernier est donc condamné à vendre des produits chers.
Dans le second modèle, le conseiller arrête sa politique tarifaire et la justifie à son client auquel il envoie des factures périodiques.
C’est ennuyeux pour tout le monde, mais ça permet au conseiller de recommander à son client tous les produits, y compris les produits indiciels à bas coûts.
Deux pays européens ont interdit les rétrocessions : les Pays-Bas et l’Angleterre. Partout ailleurs, le modèle à base de rétrocessions est hégémonique.
Alors que la décision de la Commission européenne approche, les lobbys se déchaînent pour éviter l’interdiction des rétrocessions. C’est même l’union sacrée des professionnels en France : les associations de conseillers en investissements financiers (CIF), les sociétés de gestion, les banques, les assureurs, tous défendent les rétrocessions.
Tous unis pour la vie chère et l’absence de concurrence tarifaire.
Car « seule la commission peut permettre au plus grand nombre d’avoir un accès au conseil personnalisé, à l’accompagnement et à l’assistance d’un courtier en assurances puisque son coût est mutualisé et son prix par conséquent plus faible que s’il était individualisé via des honoraires » (source).
Eh oui, dans le monde enchanté de la gestion et de la distribution de produits de placement, les plus riches subventionneraient les moins fortunés par une espèce de ruissellement volontaire.
Même l’AMF, en théorie indépendante des lobbys, y est allée de son couplet. Anne-Marie Barbat-Layani, la nouvelle présidente, passée par la direction générale de la Fédération bancaire française et de l’Association française des banques, a ainsi affirmé que « les idées simples en apparence, comme l’interdiction pure et simple des commissions, [n’étaient] pas forcément les plus efficaces » (source).
Sans apporter le début d’une preuve à l’appui de son affirmation.
Dans le camp d’en face, on trouve la commissaire européenne aux services financiers, à la stabilité financière et l’union des marchés de capitaux, Mairead McGuinness, pour qui l’interdiction des rétrocessions pourrait faire baisser les coûts de 35% pour les particuliers. Vous avez dit pouvoir d’achat ?
Et quelques courageuses associations de protection des consommateurs, comme Better Finance et le Bureau européen des unions de consommateurs, qui, alliées à Finance Watch , fustigent le narratif mensonger des lobbys professionnels selon lequel l’interdiction des rétrocessions exclurait les moins fortunés du périmètre du conseil (le fameux « advice gap »).
En imposant la séparation de la tarification de la gestion et du conseil, l’interdiction des rétrocessions aura pour vertu d’introduire enfin de la concurrence entre les gérants d’actifs. Pour le plus grand bénéfice des clients ET de leurs conseillers.
Cette chronique, rédigée le 17 janvier 2023, est parue initialement dans le numéro de février 2023 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.
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Illustration : meme généré sur imgflip.com