Quand la bulle fait pschitt
Michael Burry est l'homme qui avait vu venir la crise des subprimes avant tout le monde. Et qui a pu gagner beaucoup d'argent (et en faire gagner beaucoup à ses clients) en persuadant des banques d'investissement de lui vendre des Credit Default Swaps assurant contre le risque de défaut de certains véhicules exposés aux emprunts subprimes.
Dans le film The Big Short, c'est Christian Bale qui jouait le rôle de Burry.
L'homme qui a prédit la crise des subprimes a déclaré à Bloomberg début septembre que la popularité de la gestion indicielle lui rappelait la spéculation sur les CDO, ces véhicules de titrisation dans lesquels étaient logés les emprunts subprimes toxiques.
Et ce alors que Morningstar annonçait qu'à fin août les encours des fonds indiciels actions Etats-Unis avaient dépassé pour la première fois ceux des fonds gérés activement.
Diantre. L'homme qui a prédit la bulle des subprimes annonce une nouvelle bulle, indicielle cette fois. Cassandre avait vu juste une fois, pourquoi pas une deuxième ?
Ca pourrait être plausible si la gestion indicielle était un type d'investissement ciblé : comme les valeurs internet à la fin du siècle dernier, ou bien les CDO remplis de prêts immobiliers consentis à des ménages insolvables et magnifiquement notés par les agences de notation.
Mais la gestion indicielle, c'est une approche (se contenter de faire comme le marché plutôt que d’essayer de faire mieux) qui s'applique aux deux grandes classes d'actifs liquides : les actions et les obligations. Pas à un segment du marché.
La vogue de la gestion indicielle à bas coûts a pour pendant la désaffection pour la gestion active à coûts plus élevés. Depuis 10 ans, c'est à un transfert d'environ 1500 milliards de dollars de la gestion active vers la gestion indicielle que l'on a assisté aux Etats-Unis.
Puisqu’il s’agit de vases communicants, cette migration ne peut pas être le déterminant principal de la hausse presque continue et considérable des marchés actions depuis 2009. Responsables plus plausibles, les rachats par les entreprises cotées de leurs propres actions. D’après les calculs de Yardeni Research, ils ont atteint à fin septembre le montant cumulé de 5000 milliards de dollars depuis début 2009 pour les valeurs du S&P 500.
De plus, il y a de nombreux types d’investisseurs sur les marchés, et les véhicules indiciels ne détenaient à fin 2018 que 13% du capital des sociétés cotées aux Etats-Unis et environ 5% des actifs mondiaux (actions et obligations).
Mais peut-être que la gestion indicielle pèse lourd dans les transactions, poussant les valorisations à la hausse ? Même pas, puisqu'on estime sa part dans le trading actions aux Etats-Unis à 5%. Par construction, les produits indiciels répliquant des indices capi-pondérés font très peu de transactions (le taux de rotation annuel du portefeuille d'un ETF répliquant le S&P 500 est d'environ 5%).
S&P DJ Indices a évalué les économies de frais de gestion réalisées par les investisseurs américains en fonds indiciels à 287 milliards de dollars depuis 1996.
Alors, si la vogue de la gestion indicielle en général et des ETF en particulier est une bulle, longue vie à la bulle. Et espérons qu’elle sera de plus en plus présente dans les portefeuilles des investisseurs européens, et pas seulement dans ceux des institutionnels.
Ah, au fait, si Michael Burry est pour l’éternité l'homme qui a vu la bulle Subprime avant tout le monde, c’est avant tout un investisseur Value. Et son propos principal était de dire que les petites capitalisations japonaises Value lui semblaient injustement délaissées par des investisseurs américains n'ayant d'yeux que pour les grandes capitalisations de leur pays.
Ca tombe bien, Scion Asset Management, sa société de gestion, investit dans des petites et moyennes capitalisations japonaises Value. On a tous quelque chose à vendre, rien de tel que d'agiter le chiffon rouge d'une bulle pour attirer l'attention. Mr Big Short a bien réussi son coup.
Cet article est paru initialement dans le numéro de novembre 2019 de Gestion de Fortune.