Pinocchio des Bois
Après avoir développé des plate-formes de trading haute fréquence, Vlad Tenev et Baiju Bhatt ont créé Robinhood aux Etats-Unis en 2013.
Robinhood, c’est Robin des Bois, celui qui prenait aux riches pour donner aux pauvres. La mission de ce courtier ? Démocratiser la finance.
Et comme un peu de storytelling ne fait pas de mal, les 2 co-fondateurs, tous les deux diplômés de Stanford University, expliquent que l’idée leur est venue dans le sillage du mouvement Occupy Wall Street.
Comment démocratise-t-on la finance ? En mettant un coup de pied dans la fourmilière, en disruptant : application soignée, interface remarquable, et surtout, le coup de génie, pas de frais de courtage.
Robinhood s’attaque à la citadelle des courtiers établis en rasant gratis, là où les acteurs historiques facturent encore 5 dollars par transaction.
En dépit de défaillances de son infrastucture de trading, Robinhood se développe rapidement et séduit les millénariaux qui goûtent aux joies de la bourse sans frais et d’une application digne des jeux vidéo.
Robinhood multiplie les innovations : possibilité d’acheter des fractions d’actions et des cryptomonnaies.
C’est gratuit, on vous dit.
Mais de quoi vit-on quand on ne fait pas payer le courtage ? C’est fort simple, répondent les 2 révolutionnaires : de la marge d’intérêt, des revenus générés par le trading sur marge, et des revenus liés aux services premium.
Le compte n’y est pas, disent quelques grognons, qui découvrent que Robinhood vend le carnet d’ordres de ses clients à des teneurs de marché. Pratique légale, mais longtemps masquée et niée par Robinhood.
Un gros et nécessaire mensonge par omission, tant il est difficile de concilier le storytelling sur la démocratisation de la finance et la vente du carnet d’ordres des clients à Citadel Securities ou à Virtu, les symboles de Wall Street.
En dépit des pannes technologiques et de ce gros mensonge par omission, Robinhood séduit toujours plus d’utilisateurs et enchaîne les levées de fonds sur des valorisations toujours plus élevées.
En décembre 2020, la SEC annonce que Robinhood, sans reconnaître ni nier sa culpabilité, a accepté de payer une amende d’un montant de 65 millions de dollars.
Les raisons ? Le mensonge par omission lié à la non-communication sur la vente du carnet d’ordres des clients à des market makers.
Et les mensonges sur la qualité d’exécution des ordres : Robinhood aurait négocié des conditions très avantageuses pour lui avec les market makers, au détriment des prix d’achat et de vente obtenus par ses utilisateurs ; et a longtemps affirmé avoir une excellente qualité d’exécution, tout en sachant que ce n’était pas le cas.
La SEC a calculé que la gratuité des frais de courtage avait en réalité coûté 34 millions de dollars aux utilisateurs de Robinhood, qui ont payé trop cher leurs actions, et ne les ont pas vendues assez cher.
Arrive en janvier 2021 l’affaire GameStop, cette offensive concertée d’investisseurs (notamment privés) pour faire monter le cours d’une valeur attaquée par les vendeurs à découvert.
Le cours de GameStop s’emballe quand Robinhood suspend soudain les transactions sur plusieurs valeurs, dont GameStop, sous couvert d’explications fumeuses.
En réalité, le chambre de compensation des actions aux Etats-Unis, DTCC, avait fait un appel de marge massif auprès des courtiers en ligne, en relation avec la spéculation effrénée sur l’action GameStop.
Fureur des utilisateurs de Robinhood, qui crient à la collusion avec les hedge funds.
Et Robinhood de lever 3,4 milliards de dollars auprès de ses actionnaires, soit plus que le total des financements depuis sa création, avant de réautoriser les transactions sur les titres suspendus.
Tout l’art de la finance, c’est de cacher les frais. Le révolutionnaire et menteur Pinocchio des Bois ne fait pas exception à la règle. Vlad Tenev ne porte pas les costumes sur mesure des courtiers de Wall Street, mais il joue au même jeu.
Quand c’est gratuit, ça te coûte très cher. Mentir, c’est mal.
Cette chronique est parue initialement dans le numéro de mars 2021 de Gestion de Fortune, sans les illustrations ni les liens.
Illustration : Errol Flynn dans Les Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz (1938) - Pinocchio de Hamilton Luske et Ben Sharpsteen (1940)