Miroir, ô mon miroir
Le 14 décembre 1503 naquit à Saint-Rémy-de-Provence Michel de Nostredame, entré dans la postérité sous le nom de Nostradamus.
En mai 1555 fut publiée à Lyon la première édition des Prophéties, le grand œuvre de Nostradamus, composé de quatrains prophétiques écrits dans un style nébuleux laissant le champ des interprétations grand ouvert.
Ces prophéties font depuis bientôt 500 ans le régal des amateurs d’astrologie et de certains conspirationnistes.
En fin d’année fleurissent deux grandes familles de prophéties dans l’écosystème de la gestion d’actifs : celles sur la performance des marchés dans les 12 mois qui viennent d’une part ; celle — millénariste — sur le grand retour de la gestion active d’autre part.
La première famille se matérialise par de longs documents agrémentés de jolis graphiques multicolores : les « outlooks », les perspectives de la société de gestion pour l’année qui vient.
Parfois, ces outlooks sont présentés aux distributeurs de fonds lors de matinées organisées dans de grands hôtels, dont le point d’orgue est un buffet.
« 2024, le retour de la gestion Value ? », s’interroge telle société de gestion axée sur la Value.
« 2024, retour en grâce pour les foncières cotées ? », se demande telle société de gestion spécialisée dans les foncières cotées.
« En 2024, les small caps devraient sortir du purgatoire », croit savoir telle société de gestion spécialiste des petites capitalisations.
Pour les plus grandes sociétés de gestion, présentes sur toutes les classes d’actifs et tous les styles de gestion, il faut ratisser plus large.
Par exemple en plaçant leurs perspectives sous la bannière tellement fédératrice de « méga-tendances séculaires » soigneusement identifiées par des équipes d’experts, à grand renfort de « marché total adressable » (eh oui, c’est ainsi qu’on traduit en français « Total Addressable Market » ou TAM) exprimé en centaines de milliards de dollars, le tout agrémenté de clichés sur un monde en permanence « à la croisée des chemins » et sur de « nouveaux paradigmes ».
Mais pour toutes les sociétés pratiquant la gestion active, il existe un point commun : il va falloir être sé-lec-tif.
Pourquoi donc ? Parce que l’incertitude est grande et que « l’incertitude plaide pour la sélection de valeurs, » si l’on en croit un grand gérant d’actifs étatsunien.
Je me demande avec quel instrument on mesure cette incertitude. Un pied à coulisse ? Un laser ? Un pifomètre avec IA intégrée ?
L’ennui avec le futur — n’en déplaise à Nostradamus —, c’est qu’il est imprévisible. Et ce depuis toujours. Il n’empêche que l’on fait semblant, quand la fin de l’année approche, de découvrir que le futur est imprévisible. Pour en conclure que le seul moyen de s’en prémunir, c’est d’être sé-lec-tif.
Il en découle donc que 2024 sera l’année du retour en grâce de la gestion active. Comme 2023 devait l’être (raté). Comme 2022 devait l’être (raté). Ça fait 20 ans que ça dure et qu’on attend Godot. En vain.
Du même grand gérant d’actifs étatsunien :
« Il apparaît (…) évident qu’une sélection de titres rigoureuse par zones géographiques, par secteurs, par tailles de capitalisation ou niveaux de valorisation, sera indispensable pour traverser l’année qui s’annonce. »
L’avantage d’une telle prédiction, c’est qu’elle pourra être recyclée en 2025.
Vous n’êtes pas encore convaincu ? Ecoutez les prophéties de ce distributeur d’assurance vie sur internet, qui propose des portefeuilles composés de fonds gérés activement (« la crème du placement ») :
« Je pense (…) que l’année 2024 démontrera que ceux qui réussiront à créer de la performance seront les bons gestionnaires actifs. »
J’y vais de ma prophétie : « En 2024, les marchés fluctueront. Il y aura de bonnes et de mauvaises surprises, des hausses et des baisses. Collectivement, les fonds gérés activement devraient faire moins bien que les fonds indiciels, à cause de leurs frais excessifs, nécessaires pour rémunérer les réseaux de distribution. »
Je vous souhaite une excellente année 2024.
Cette chronique, rédigée le 18 décembre 2023, est parue initialement dans le numéro de janvier 2024 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de page, ni les liens.
Illustration : La diseuse de bonne aventure, Le Caravage, entre 1595 et 1598 (Musée du Louvre)