H2Ogate : victoire de l'AMF par KO
Le Conseil d'Etat rejette toutes les demandes des requérants
Le 18 juin 2019, Robert Smith et Cynthia O’Murchu révélaient dans le Financial Times la présence dans des fonds gérés par H2O AM de titres illiquides émis par des sociétés détenues par la holding d’un entrepreneur allemand, Lars Windhorst.
Ce dernier avait déjà un passé connu et reconnu d’entrepreneur à problèmes : non remboursement des dettes par les entreprises qu’il détient, faillite personnelle.
La saga du H2Ogate pouvait commencer, que je suis chaque semaine dans Alpha Beta Blog.
La commission des sanctions de l’AMF avait prononcé dans une décision en date du 30 décembre 2022 (Décision SAN-2023-01) les sanctions monétaires les plus élevées de son histoire à l’encontre des protagonistes du H2Ogate sous sa tutelle réglementaire :
75 millions d’euros (le montant maximum réglementaire étant de 100 millions d’euros) à l’encontre de H2O AM LLP, cette sanction monétaire étant assortie d’un blâme ;
15 millions d’euros (à savoir le montant maximum réglementaire pour une personne physique) à l’encontre de Bruno Crastes, interdit en outre de toute fonction de direction pendant cinq ans ;
3 millions d’euros à l’encontre de Vincent Chailley, qui écopait en outre d’un blâme.
H2O AM LLP, Bruno Crastes et Vincent Chailley avaient formé des recours devant le Conseil d'Etat contre la décision SAN-2023-01.
Bruno Crastes et Vincent Chailley avaient en outre déposé une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre de leurs recours formés devant le Conseil d'Etat contre la décision SAN-2023-01.
Par décision du 7 août 2023, le Conseil d'Etat avait dit n'y avoir lieu à renvoyer devant le Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité déposée par MM. Chailley et Crastes.
Dans le cadre du recours, le Conseil d’Etat vient de rejeter l’ensemble des demandes par une décision prise par les 6è et 5è chambres réunies le 13 juin 2025.
Que demandaient H2O AM LLP, Bruno Crastes et Vincent Chailley ?
1° Sous le n° 471548, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 21 février, 22 mai, et 1er décembre 2023, les 30 mai et 31 octobre 2024 et le 11 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société H2O AM LLP demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° 12 du 30 décembre 2022 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire d'un montant de 75 millions d'euros, assortie d'un blâme ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 471744, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et cinq nouveaux mémoires, enregistrés les 28 février, 26 mai, 4 décembre 2023, les 30 mai et 4 novembre 2024, et les 18 février et 11 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... et M. E... F... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° 12 du 30 décembre 2022 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à l'encontre de M. D... une sanction pécuniaire d'un montant de 15 millions d'euros, assortie de l'interdiction d'exercer pendant une durée de cinq ans l'activité de gérant ou de dirigeant d'une des personnes mentionnées aux 7°, 7° bis et 7° ter du II de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier, et à l'encontre de M. F... une sanction pécuniaire d'un montant de 3 millions d'euros, assortie d'un blâme ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 6 000 euros à verser respectivement à chacun d'eux, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Qu’ont-il obtenu ?
Article 1er : Les requêtes de la société H2O AM LLP et de MM. D... et F... sont rejetées.
Article 2 : La société H2O AM LLP versera une somme de 3 000 euros à l'Autorité des marchés financiers et MM. D... et F... verseront solidairement une somme de 3 000 euros à l'Autorité des marchés financiers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société H2O AM LLP, à M. A... D..., à M. E... F... et à la présidente de l'Autorité des marchés financiers.
Voici les motifs du Conseil d’Etat en réponse à certains des moyens des requérants.
Sur la compétence de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers et l'application de la directive 2009/65/CE :
11. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la commission des sanctions à l'égard de la société H2O et de ses dirigeants s'agissant des manquements en cause dans la décision attaquée doit être écarté, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle dès lors que la réponse à ce moyen ne dépend pas de l'interprétation de dispositions du droit de l'Union européenne.
Sur la composition de la commission des sanctions :
20. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission des sanctions doit être écarté.
Sur la régularité de la procédure de sanction :
23. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision attaquée de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers serait irrégulière au motif que ni MM. D... et F..., ni, en tout état de cause, les représentants de la société H2O, n'ont été informés du droit qu'ils avaient de se taire dans le cadre de leurs échanges avec les contrôleurs de l'Autorité des marchés financiers ne peut être qu'écarté. Il en va de même du moyen tiré de ce que, pour ce même motif, la décision contestée serait intervenue en méconnaissances des exigences découlant de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
24. En second lieu, les requérants n'allèguent pas, et il ne résulte pas davantage de l'instruction, que la sanction qui leur a été infligée reposerait de manière déterminante sur des propos tenus lors de leur audition par le rapporteur pendant la phase d'instruction ou lors de leur comparution devant la commission des sanctions de l'Autorités des marchés financiers. Par suite, la circonstance qu'aurait été méconnue, au cours de la procédure de sanction engagée à leur encontre, l'obligation d'informer MM. D... et F... et, en tout état de cause, les représentants de la société H2O, de leur droit de se taire n'est pas de nature, contrairement à ce qui est soutenu, à entacher en l'espèce cette procédure d'irrégularité.
Sur le bien-fondé des sanctions prononcées :
32. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que la commission des sanctions a retenu les griefs tirés, d'une part, de ce que l'acquisition par les fonds gérés par la société H2O de titres financiers dont elle connaissait dès l'origine la faible liquidité compromettait la capacité de ces fonds à honorer les demandes de rachat des investisseurs et, d'autre part, de ce que le risque de liquidité n'était pas pris en compte de manière appropriée par le processus de gestion des risques des fonds H2O, en méconnaissance respectivement des dispositions précitées des 2° et 7° du I de l'article R. 214-9 du code monétaire et financier.
En ce qui concerne la proportionnalité des sanctions prononcées :
66. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la sanction prononcée à l'encontre de la société H2O par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers ne serait pas proportionnée à la gravité des manquement commis par cette société et à sa situation financière doit être écarté.
69. Il résulte de ce qui précède, et alors même qu'il n'est pas reproché à MM. D... et F... d'avoir tiré des bénéfices personnels des faits en cause, que les sanctions prononcées à leur encontre, qui sont suffisamment motivées, sont proportionnées à la gravité des manquements commis et à la situation financière des intéressés.
La décision de la Commission des sanctions de l’AMF SAN-2023-01 est donc devenue définitive. Dans son offre de remboursement inégalitaire, H2O AM avait promis que toute réduction par le Conseil d’Etat du montant de la sanction monétaire prononcée serait reversé à la collectivité des porteurs de parts : il n’y aura donc rien à reverser.
Fidèle à son habitude, H2O AM LLP a réagi à cette décision défavorable, dont la société de gestion “prend acte” par un communiqué lunaire :
H2O AM LLP déplore, d’une part, que les arguments portant sur le fond comme sur des problématiques juridiques majeures soulevées durant sa défense n’aient pas été retenus. D’autre part, la société regrette l’absence de révision de la sanction pécuniaire qui n’aurait pourtant bénéficié qu’aux porteurs des fonds cantonnés, H2O AM LLP s’étant engagée à reverser intégralement toute somme recouvrée.
Déploration et regret, c’est beau comme du Jane Austen.
L’heure est donc venue de tourner la page :
Le Groupe H2O AM souhaite, maintenant, se projeter vers l’avenir et continuer à offrir aux investisseurs une gestion unique, diversifiante et qui a fait ses preuves dans différentes configurations de marchés.
Enfin, pas tout à fait tourner la page : la victoire par KO de l’AMF au deuxième et dernier round ferme le volet réglementaire français dans le H2Ogate.
Quant à la procédure de l’Association Collectif Porteurs H2O (que j’ai conseillée entre novembre 2022 et avril 2023) devant le Tribunal de commerce de Paris, elle suit son cours, lentement mais sûrement. Une audience aura lieu le mardi 24 juin. J’y serai.
Le H2Ogate, dont je rappelle qu’il pourrait coûter plus de 1,1 milliard d’euros aux porteurs de parts des fonds cantonnés, n’est pas prêt de se terminer.