Le H2Ogate entre dans sa 6ème année : il avait en effet démarré en juin 2019, avec un article de Robert Smith et Cynthia O’Murchu du Financial Times révélant la présence dans des fonds de droit français gérés par H2O AM LLP, une société de gestion anglaise créée en 2010 par Bruno Crastes et Vincent Chailley, de titres illiquides émis par des sociétés contrôlées par Lars Windhorst.
Ce dernier est un entrepreneur allemand spécialiste depuis des années du non-remboursement de ses dettes.
Fin août 2020, l’AMF demandait le gel des transactions sur certains fonds H2O AM. En octobre 2020, les actifs « Windhorst » étaient transférés dans des véhicules gérés en extinction (des « side-pockets ») pour une valorisation estimée à 1,642 milliard d’euros.
L’AMF avait prononcé fin 2022 des sanctions historiques à l’encontre de H2O AM, de Bruno Crastes et de Vincent Chailley, qui ont formé un recours devant le Conseil d’Etat.
On a longtemps attendu les conclusions de l’enquête du régulateur britannique, la FCA, sur les agissements de la société H2O AM LLP. Le rapport est paru en août 2024 et l’on y a découvert des informations proprement stupéfiantes.
La société H2O AM LLP a ainsi menti à plusieurs reprises au régulateur britannique. Interrogée sur les relations extra-professionnelles entre Lars Windhorst et les dirigeants de la société de gestion, cette dernière a répondu qu’il n’y en avait pas.
Pour qui lisait la presse, et notamment le Financial Times, cette réponse était manifestement mensongère. Un expert externe fut nommé, qui découvrit des invitations de Lars Windhorst, via des sociétés qu’il contrôle, aux dirigeants de H2O AM LLP et parfois à leur famille : grand prix de F1 à Monaco, croisières sur le superyacht de Windhorst en Méditerranée ou dans les Caraïbes, vols en hélicoptère ou en jet privé.
La FCA demanda alors de nouveau à H2O AM LLP d’identifier toutes les invitations privées reçues de Windhorst : la société de gestion recouvrit la vue et en trouva… 50.
Pire encore, H2O AM fabriqua de toutes pièces des comptes-rendus de comités d’évaluation des investissements dans les titres « Windhorst » qui ne s’étaient jamais tenus.
Privilégiant l’indemnisation partielle des investisseurs bloqués dans les side-pockets à la sanction, la FCA a fait une transaction (« settlement ») avec H2O AM. Cette dernière, sans reconnaître sa culpabilité, propose de verser 250 millions d’euros.
Hélas, cette proposition ne respecte pas l’égalité des porteurs de parts, puisque certains investisseurs seront mieux traités que d’autres : ceux qui renonceraient « à toute action contre le Groupe H2O AM et les tierces parties en relation à ces investissements et à leur gestion » (je suppose qu’il s’agit de Natixis IM, Caceis et KPMG) « bénéficieront d’un paiement accéléré et majoré ».
A-t-on touché le fond avec cette offre au rabais et inégalitaire de la part d’une société qui a menti comme un arracheur de dents au régulateur britannique ?
Que nenni : le technicien constatant impartial qui avait été nommé par le Tribunal de Commerce de Paris en juillet 2022 pour vérifier l’adéquation, l’exhaustivité et la sincérité des pièces transmises par H2O AM au Collectif Porteurs H2O, Eric Pinon (ex-président de l’AFG), est passé avec armes et bagages, une fois sa mission terminée, dans le camp de… H2O AM.
Pour aider cette dernière à concevoir son offre d’indemnisation et en assurer l’avant-vente.
Il y a là à tout le moins l’apparence d’un gigantesque conflit d’intérêts qui semble avoir échappé tant à H2O qu’à Éric Pinon. Ce dernier définit ainsi sa nouvelle mission : « expliquer que la proposition de H2O est dans l’intérêt de l’ensemble des porteurs, et la plus égalitaire ».
Pendant ce temps, un reportage d’une chaîne allemande nous apprend que Lars Windhorst aurait acheté une villa à Los Angeles (en photo en ouverture de ce billet). Pour 47,5 millions de dollars. Autant d’argent que les détenteurs de side-pockets ne reverront jamais.
Leur perte devrait dépasser le milliard d’euros. Le casse du siècle.
Avertissement : j'ai assisté entre novembre 2022 et avril 2023 l'Association Collectif Porteurs H2O dans le cadre d'une mission rémunérée (détails ici). A vous de déterminer si elle influe sur ma couverture de l'affaire H2O AM sur ce blog.
Cette chronique, rédigée le 16 septembre 2024, est parue initialement dans le numéro d’octobre 2024 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.