H2O AM éparpillé façon puzzle
La commission des sanctions de l'AMF s'est réunie le vendredi 25 novembre à partir de 9 heures en séance publique.
Il y avait plus de monde qu'à l'accoutumée. La séance était en effet consacrée à H2O AM LLP, Bruno Crastes et Vincent Chailley, les protagonistes du H2Ogate.
La rapporteure de la commission des sanctions a présenté 3 griefs :
Le non-respect des règles d'éligibilité en raison de l'investissement dans des titres Tennor inéligibles, par ailleurs fait sans diligence préalable appropriée.
Le non-respect du ratio d'investissement interdisant la détention par un OPCVM de plus de 10% des titres de créance d’un même émetteur.
Le non-respect des règles d'investissement des OPCVM dans le cadre des opérations de buy-and-sell back sur les titres émis par des entités liées à Tennor.
Pour la rapporteure, sur la base d'un raisonnement juridique lié à la domiciliation de H2O AM LLP au Royaume-Uni, les manquements identifiés dans les 3 griefs ne sont pas imputables à Bruno Crastes et à Vincent Chailley.
La représentante du collège, sur la foi d'un raisonnement juridique s'appuyant sur la jurisprudence, arrive à une conclusion opposée et estime que ces manquements sont bien imputables à titre personnel à Crastes et à Chailley.
Elle a tenu des propos très durs à l'encontre des mis en cause.
Ce dossier présente un caractère exceptionnel en matière de protection des investisseurs. [...] Les manquements ont une gravité inédite compte tenu de leur objet, de leur ampleur et de leurs conséquences. [...] Professionnels avertis, les mis en cause ont commis de graves manquements.
Elle a estimé que les 3 griefs retenus par la rapporteure étaient bien constitués avant de détailler les sanctions proposées.
D'abord la sanction financière à l'encontre de H2O AM LLP.
Le plafond de 100 millions d'euros d'amende à été envisagé. Pour préserver la capacité de la société à indemniser les investisseurs, la sanction est ramenée à 75 millions d'euros.
Pour Bruno Crastes, il a été demandé une amende de 15 millions d'euros, le montant maximum, ainsi qu'une interdiction de gérer et de diriger une société de gestion dans l'Union européenne pendant 10 ans .
Pour Vincent Chailley, il a été demandé une amende de 3 millions d'euros et un blâme.
On a par ailleurs appris de Loïc Guilloux[efn_note]Et non pas Cadiou comme je l'avais initialement écrit. Merci à la lectrice qui m'a informé de mon erreur.[/efn_note], en charge du dossier des side-pockets chez H2O AM, l’existence d’un plan de remédiation d’environ 300 millions d'euros :
133 millions dans un fonds lancé en 2019 (sans doute H2O Deep Value), somme qui devait revenir aux actionnaires de H2O ;
et 166 millions d'euros de commissions de performance de 2 fonds n’ayant pas été distribuées à la société de gestion.
Guilloux a également mentionné un « compte » mis en place quand Natixis a réduit sa participation dans le capital de la société de gestion (Natixis Investment Managers détient aujourd'hui 23,4% du groupe H2O AM, source), compte dans lequel il y aurait environ 200 millions d'euros destinés au paiement d’éventuelles amendes et à l’indemnisation des porteurs de parts.
Je rappelle que cette affaire a démarré publiquement avec l'article de Robert Smith et Cynthia O'Murchu, "H2O Asset Management: Illiquid Love", paru dans le Financial Times du 17 juin 2019.
Lors de sa déclaration, la rapporteure de la commission des sanctions a affirmé que selon H2O AM, la parution de cet article était un "cygne noir idiosyncratique[efn_note]Nassim Nicholas Taleb avait popularisé l'expression et le concept de "cygne noir " dans Le Cygne Noir - La puissance de l'imprévisible.[/efn_note]".
Dans la mesure où ce que rapportait cet article était exact, où la présence de titres émis par des sociétés liées à Lars Windhorst dans certains fonds de H2O était confirmée par les rapports annuels de ces fonds, ce n'était sûrement pas un cygne noir. Quant à l'idiosyncrasie[efn_note]Définition du Larousse : "Manière d'être particulière à chaque individu qui l'amène à avoir tel type de réaction, de comportement qui lui est propre."[/efn_note], je ne vois pas bien ce qu'elle vient faire dans l'histoire.
Pis encore, toujours selon H2O AM citée par la commission des sanctions, la combinaison de la publication de l'article du Financial Times et de la crise sanitaire serait « totalement imprévisible et constitutive d’un événement de force majeure ».
Plaider la force majeure, il fallait oser.
J'ai dû quitter la séance juste avant la plaidorie des défenseurs de H2O AM. Il faudra donc compléter ce bref compte-rendu en lisant les articles des journalistes présents jusqu'à la fin (par exemple celui de Jean-Loup Thiébaut dans L'Agefi).
Vous trouverez ici des informations sur le collège de l'AMF.
Après examen des rapports de contrôle et d’enquête, le Collège peut décider d’ouvrir une procédure de sanction. Il informe alors les personnes mises en cause des faits qui leur sont reprochés et transmet le dossier à la Commission des sanctions pour instruction. Sous certaines conditions, le Collège peut proposer aux personnes mises en cause d’entrer en voie de composition administrative et d conclure un accord.
Vous trouverez ici des informations sur la composition et les missions de la commission des sanctions de l'AMF.
Lorsqu’elle est saisie par le Collège de l’AMF, la Commission des sanctions instruit les dossiers et statue sur les faits reprochés aux personnes poursuivies au terme d'une procédure encadrée. Elle peut prononcer des sanctions pécuniaires et/ou disciplinaires (avertissement, blâme, ou interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis).
Durant la séance de la commission des sanctions du 25 novembre, on a appris que la notification des griefs avait été envoyée à H2O AM LLP, à Bruno Crastes et à Vincent Chailley en novembre 2021[efn_note]J'avais initialement écrit "le 21 décembre 2021" sur la foi de ce que je croyais avoir entendu durant la séance de la commission des sanctions, mais le communiqué de presse de H2O AM indique "en novembre".[/efn_note].
Le communiqué de presse de H2O AM daté du 28 novembre 2022 indiquait en outre que l'AMF avait ouvert une procédure en novembre 2019, après la création des side-pockets.
La décision finale de la commission des sanctions sera connue dans quelques semaines.
Vous trouverez plus de détails sur le pouvoir de sanction exercé par la commission des sanctions de l'AMF ici.
Illustration : une scène culte des Tontons flingueurs de Georges Lautner