La Guerre des Mondes
L’écosystème des produits de placements a trois composantes : les fournisseurs de produits, qui les gèrent ; les distributeurs, qui les vendent ; et les consommateurs finaux, épargnants ou investisseurs selon la nature des produits, qui les achètent (ou plutôt, à qui on les vend).
3 mondes parallèles cohabitent dans cet écosystème.
Le premier, c’est le vieux monde. Un énorme bloc inerte, monolithique, engoncé dans le confort de l’entre-soi et des rétrocessions, insensible à l’intérêt des clients.
Le vieux monde soutient la gestion active comme la corde soutient le pendu. Les fournisseurs de produits rémunèrent les distributeurs en fixant les frais de gestion qui serviront à verser les rétrocessions.
Ces distributeurs abandonnent de fait la fixation de leur politique tarifaire aux sociétés de gestion et se privent de la possibilité d’argumenter rationnellement sur le rapport qualité/prix de leur prestation auprès de leurs propres clients, puisqu’ils n’en fixent pas les prix.
En France, le récent rapport de l’AMF sur les conseillers en investissement financier nous a appris que 6% des CIF étaient indépendants au sens de MIF2. Ce qui veut dire que 94% des CIF ont fait le choix du statu quo et de la servitude volontaire.
La vague de fond de la gestion indicielle à bas coûts qui a démarré aux Etats-Unis, où plus de la moitié des encours en fonds actions Etats-Unis est dorénavant logée dans des véhicules indiciels, déferle sur le reste du monde.
Elle est portée par un argument simple et puissant : toutes choses égales par ailleurs, moins les frais d’un produit de placement sont élevés, plus la performance qui revient à l’investisseur est élevée. Qui explique l’incapacité collective de la gestion active à battre la gestion indicielle à bas coûts depuis 2008.
Le deuxième monde, c’est le monde idéal (pour les clients).
Un monde dans lequel chaque prestation est rémunérée séparément des autres, et de manière plus transparente : la gestion par les frais de gestion, le conseil par des honoraires de conseil.
L’intermédiaire se place sous le standard relationnel le plus protecteur pour son client, le standard fiduciaire. Les risques de conflits d’intérêt sont minimisés puisque ce n’est plus le fournisseur de produits qui rémunère le distributeur et fixe la politique tarifaire de ce dernier.
Le conseiller peut choisir parmi toutes les offres de gestion : gestion indicielle à bas coûts là où la gestion active a une probabilité élevée de sous-performer, gestion active légitimement plus onéreuse pour les classes d’actifs et stratégies pour lesquelles la gestion indicielle n’apporte pas de solution satisfaisante.
Cerise sur le gâteau, en cessant d’embarquer dans ses frais de gestion la rémunération des distributeurs, la gestion active peut se battre à armes plus égales avec la gestion indicielle en améliorant sa performance nette.
Et puis il y a un troisième monde, récent, celui que j’appelle le monde de Robinhood, dont j’espère qu’il ne sera pas le monde de demain.
Robinhood, c’est cette fintech créée en 2013 qui a révolutionné le courtage aux Etats-Unis en proposant la gratuité des transactions sur les actions, les ETF et les produits dérivés. Et la possibilité d’acheter des fractions d’actions, démocratisant l’accès à la bourse. Tous ses concurrents ont dû s’aligner.
Avec une interface extrêmement addictive digne des meilleurs jeux vidéo, Robinhood a séduit 13 millions d’utilisateurs plutôt jeunes, peu formés et s’adonnant souvent aux pires spéculations. Sa dernière levée de fonds s’est faite sur une valorisation de plus de 10 milliards de dollars.
Bien entendu, pas de conseillers financiers entre Robinhood et ses utilisateurs dans ce nouveau monde.
Le jeune client de Robinhood d’aujourd’hui, c’est celui qui ni le vieux monde, ni le monde idéal ne séduiront quand il vieillira.
Alors un conseil au vieux monde : cours vers le monde idéal. Et à ces deux mondes : cours, camarade, car Robinhood est technologiquement loin devant toi.
Illustration : La Guerre des Mondes de Steven Spielberg, d'après le roman de Herbert George Wells (1866-1946)
Cette chronique est parue initialement dans le numéro de janvier 2021 de Gestion de Fortune, sans les illustrations ni les liens.