L’éternel retour de l’illiquidité
Le 9 août 2007, BNP Paribas Asset Management annonçait la suspension des souscriptions et des rachats sur 3 de ses fonds monétaires.
Le 1er août, Baudoin Prot, président de BNP Paribas, assurait pourtant que la liquidité de ces produits était « totalement assurée ».
La raison de cette suspension des souscriptions et des rachats ? La présence dans les portefeuilles de produits de titrisation contenant des subprime mortgages, produits toxiques que BNP Paribas AM ne pouvait plus valoriser, en l’absence d’acheteurs.
De nombreux investisseurs (ré)apprirent alors à leurs dépens cette vérité première : la liquidité est toujours là quand on n’en a pas besoin. Et découvrirent des termes jusque-là inconnus : le « gating » (fermeture) des fonds ; les « side-pockets » (structure de défaisance pour isoler les actifs toxiques).
La liquidité, c’est le fait, pour un actif, de pouvoir être acheté ou vendu rapidement.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts de la crise financière de 2008 : le régulateur a régulé et a permis en Europe aux fonds coordonnés d’introduire dans leurs prospectus la possibilité de réduire la liquidité de certains fonds dans certaines circonstances.
Les sociétés de gestion ont appris la leçon et se sont dotées des facultés que la réglementation leur offrait.
Et puis la vie a repris son cours habituel : les marchés d’actions sont repartis à la hausse à partir de mars 2009, la plupart des investisseurs se sont dispensés de la lecture des prospectus et la liquidité a été remisée au magasin des accessoires inutiles.
En 2019, retour du refoulé : en juin, Woodford Investment Management, la société de gestion fondée par Neil Woodford, la rock star du stock picking, suspend les transactions sur ses fonds, en raison de la présence dans les portefeuilles de titres non cotés et de demandes massives de rachats ; en novembre, Karakoram Gestion, petite société de gestion française, suspend dans un silence assourdissant les transactions sur sa gamme de fonds, « compte tenu de l’existence de titres cotés à faible liquidité au sein des portefeuilles ».
Toujours au Royaume-Uni, certains fonds d’immobilier physique suspendent également les transactions, arguant de l’incertitude liée au Brexit et de son impact sur les valorisations : M&G Property Portfolio ouvre le bal en décembre 2019, suivi par Aberdeen Standard Investments, Aviva Investors, BMO, Columbia Threadneedle, Kames Capital, Janus Henderson et L&G.
Arrive la crise sanitaire.
Autre cause, mêmes effets qu’au pire de la crise financière de 2008-2009 : dislocation sur certains marchés, y compris les plus liquides, panique, impossibilité de vendre certains actifs.
En mars, Axiom suspend les transactions sur un véhicule luxembourgeois non régulé réservé à des investisseurs avertis (110 millions d’euros d’encours). La raison : la « dislocation des marchés de dérivés de crédit ».
Toujours en mars, Exane Asset Management suspend les transactions sur Exane Integrale Fund, un fonds long short actions de 122 millions d’euros d’encours. La raison ? « Un très fort stress de liquidité ».
Encore en mars, La Française Investment Solutions active d’abord le mécanisme du « Swing pricing » (qui permet de dégrader la valeur liquidative jusqu’à 2%) puis instaure un « dilution levy » (des frais de rachat acquis au fonds) pouvant aller jusqu’à 10% sur 2 de ses fonds (encours cumulés : 2,6 milliards d’euros) investissant dans des primes de risque.
La raison ? « Un élargissement important des fourchettes de négociation achat/vente et un tassement de la profondeur de marché ».
Entendons-nous bien : ces dispositions sont permises par la réglementation et visent à protéger les investisseurs présents dans les fonds. Elles sont utiles et les sociétés de gestion concernées ont bien fait de les prendre.
Deux enseignements pour les conseillers : 1. la liquidité est toujours là quand on n’en a pas besoin ; 2. il faut lire attentivement les prospectus des fonds qu’on utilise. Tout y est écrit.
Cette chronique est parue initialement dans le numéro de mai 2020 de Gestion de Fortune, sans les illustrations ni les liens.
Photo Jon Flobrant on Unsplash