Déraisonnables investisseurs privés
Schroders est un groupe de services financiers exerçant deux métiers : celui de la gestion d'actifs pour compte de tiers et celui de la gestion de fortune.
Schroders vient de publier les résultats d'une étude réalisée entre le 30 mars et le 25 avril 2016 auprès de 20 000 investisseurs privés disposant d'au moins 10 000 € d'actifs à investir dans les 12 prochains mois et ayant effectué plusieurs transactions dans les 5 dernières années, dans 28 pays (dont la France).
Cette étude (Global Investor Study 2016) vise à déterminer les objectifs et les comportements en matière de placements. Les résultats en anglais sont disponibles sur un remarquable mini-site, ainsi que dans un document au format PDF.
Tous les graphiques utilisés dans cet article proviennent de l'étude de Schroders.
Des attentes irréalistes
Les investisseurs attendent de leurs placements un rendement distribué de 9,1% par an en moyenne, chiffre que Schroders compare au rendement actuel des actions, qui est de 3,8% (rendement attendu à 12 mois sur 11 marchés actions au 18 mai 2016).
Sachant que les taux d'intérêt sur les obligations sont à un niveau extrêmement bas, il va sans dire que, quelle que soit l'allocation d'actifs du portefeuille, un tel objectif est parfaitement inatteignable.
Les investisseurs du continent américain ont les attentes les plus élevées : 10,1% ; les suivent les investisseurs en Asie, à 9,7%, les investisseurs en Europe fermant le ban avec "seulement" 7,9%.
Un court-termisme inquiétant
L'étude montre également la corrélation entre le court-termisme des investisseurs et leur demande de rendement. Plus leur horizon de placement est court, plus leur exigence de rendement est élevée. Voilà un hiatus très ennuyeux.
Pour mesurer le court-termisme, Schroders a demandé aux investisseurs combien de temps ils comptaient conserver leurs investissements. Réponse : environ 3 ans en moyenne.
Moins de 20% des répondants déclarent être prêts à les conserver plus de 5 ans, qui est pourtant la durée minimum recommandée pour un placement en actions.
Les différences culturelles apparaissent très clairement. On retrouve des investisseurs très impatients en Chine, en Russie et en Inde (la colonne de droite indique le pourcentage d'investisseurs détenant leurs investissements pendant au moins 5 ans) sont les attentes en matière de rendement sont très ambitieuses (la seconde colonne, à droite du pays, indique le pourcentage d'investisseurs désirant un rendement annuel supérieur à 10%).
Dans des pays où la culture boursière est plus ancienne, le court-termisme est un peu moins exacerbé et les attentes de rendement moins irréalistes.
"Millennials" : tout, tout de suite
Ce court-termisme encore plus accentué pour la classe d’âge que l’on recouvre sous le vocable de « millennials » (à savoir les individus nés entre le début des années 1980 et l’an 2000, seules les personnes âgées de 18 à 35 ans ayant été interrogées).
En effet, seuls 8% d'entre eux sont prêts à conserver leurs investissements pendant au moins 5 ans, contre 24% des 36 ans et plus. 40% des millennials de 18 à 35 ans déclarent être prêts à détenir leurs investissements pendant moins d’un an !
Même en tenant compte du fait que cette tranche d’âge a des besoins de liquidités, notamment pour des acquisitions immobilières, un tel court-termisme n’est absolument pas en phase avec son horizon de placement théorique, qui est très long (de 30 à 45 ans selon l'âge).
Pis encore, cette tranche d'âge a des attentes en matière de rendement beaucoup plus élevées que celles des plus de 36 ans : 59% d'entre eux attendent plus de 10% par an, contre 40% pour leurs aînés.
Retraites : in the state we trust
Les investisseurs privés interrogés continuent de faire confiance à leur Etat pour leur verser une pension de retraite significative dans le total des revenus lors de la retraite.
C'est même la deuxième source de revenus globalement (représentant 18,8% des revenus à la retraite), après l'épargne personnelle (20,7%) et avant les fonds de pension d'entreprise (17,9%) et les fonds de pension personnels (13,3%).
En matière de retraite également, on remarque des différences culturelles : la part des pensions versées par l'Etat dans les revenus totaux attendus à la retraite est beaucoup plus élevée pour les Européens (27%) que pour les Asiatiques (14%) ou les Américains (12%).
Conclusion
La combinaison d'attentes totalement irréalistes en matière de rendement annuel des investissements et d'une durée de détention bien trop courte est susceptible d'empêcher de nombreux actifs de disposer de revenus suffisants quand ils prendront leur retraite.
Le décalage entre les attentes de rendement et le niveau actuel des taux d'intérêt reflète un défaut de compréhension de l'environnement financier et augure assez mal des allocations d'actifs retenues par les investisseurs.
Et pourtant, dans tous les pays du monde, quelles que soient les caractéristiques locales en matière de financement de la retraite, les recettes sont simples : commencer à épargner le plus tôt possible, utiliser une allocation d'actifs en phase avec la durée d'investissement résiduelle et contrôler ce qui est contrôlable (les frais des produits d'investissement, et ses propres dépenses).
Au vu des résultats passionnants de cette étude Schroders, plus facile à dire qu'à faire.