Couvrez cet ETF
Dans Le Tartuffe de Molière, le héros éponyme s’adresse à Dorine :
Couvrez ce sein, que je ne saurais voir.
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées. L’ETF, acronyme d’Exchange-Traded Fund, à savoir fonds coté en bourse, est un sous-produit de la plus utile innovation financière récente pour les investisseurs : la gestion indicielle à bas coûts.
Dans les pays où dominent les rétrocessions, comme la France, les ETF sont un peu le sein de Dorine : tel Tartuffe, le complexe quasi militaro-industriel des banques et des compagnies d’assurance qui contrôle la distribution de produits de placements collectifs ne veut surtout pas qu’on les voie.
Tout comme les conseillers en investissements financiers non indépendants au sens de MIF 2 qui constituaient 93% des effectifs de la profession à fin 2020.
Par de pareils objets (les ETF indiciels), ce ne sont pas les âmes qui sont blessées, ce sont les performances délivrées aux clients particuliers.
Faites entrer l’ETF dans la bergerie de l’assurance vie et c’est tout l’édifice reposant sur les rétrocessions qui menace de s’écrouler.
Le premier ETF a été lancé au Canada en 1993. En Europe, il a fallu attendre le 11 avril 2000, date à laquelle les 2 premiers ETF répliquant les indices Euro Stoxx 50 et Stoxx Europe 50 ont été cotés sur Deutsche Börse.
En près de 30 ans, la progression a été phénoménale : 10270 milliards de dollars d’actifs totaux à fin 2021 selon ETFGI.com, avec une collecte record de 1290 milliards de dollars en 2021. Si les Etats-Unis dominent toujours, en Europe, les 1620 ETF listés référencés par Quantalys représentaient 1333 milliards d’euros d’actifs à fin 2021, un doublement en trois ans.
Les raisons du succès des ETF ?
L’échec collectif dorénavant parfaitement documenté de la gestion active à battre les indices (étude SPIVA) ou la gestion indicielle (Morningstar Active/Passive Barometer).
La tendance de fond à la facturation séparée de la gestion et du conseil, que ce soit sur des marchés où les rétrocessions restent autorisées (Etats-Unis) ou sur ceux où elles sont interdites (Royaume-Uni, Pays-Bas, Australie).
Le confort pour les intermédiaires de pouvoir garantir avec un niveau de confiance élevé que le produit sélectionné va délivrer la performance de son indice sous-jacent, par rapport au risque considérable de sous-performance que pose la sélection de gérants actifs.
Dans son étude des pratiques de la gestion d’actifs (« Global Investor Experience Study »), Morningstar a réparti les 26 pays analysés dans 5 catégories pour les coûts et les frais, de top à nul.
Le podium des pays top, dans lesquels les frais et les coûts sont les plus bas, est constitué de l’Australie, des Pays-Bas et des Etats-Unis. Dans la catégorie des nuls, 2 pays où la gestion d’actifs maltraite les investisseurs : l’Italie et Taiwan.
La France est dans la catégorie des cancres, juste avant les nuls, avec le Canada, la Chine, Hong Kong, le Mexique et Singapour. Lors de la précédente édition de l’étude, la France faisait déjà partie des mauvais élèves.
Il n’y a pas de concurrence dans l’hexagone sur les frais, le marché restant verrouillé par les oligopoles des banques et des compagnies d’assurance qui ont besoin des rétrocessions pour que rien ne bouge et font héroïquement barrière aux ETF à bas coûts dans l’enveloppe-reine de l’assurance vie.
La commission des finances du Sénat commence à s’en émouvoir, qui avait publié l’an dernier un rapport intitulé : « La Protection des épargnants : payer moins et gagner plus ». Lequel rapport a donné lieu à une proposition de loi récente visant, entre autres, à interdire la honteuse maltraitance que sont les commissions de mouvement, à assurer la transférabilité totale de l’assurance vie et à donner plus de visibilité aux ETF.
Ça ne suffira pas : il faut interdire les rétrocessions pour dissocier la facturation de la gestion de celle du conseil et faire sortir ce dernier de la servitude volontaire dans laquelle il se trouve.
Cette chronique est parue initialement dans le numéro de mai 2022 de Gestion de Fortune, sans les illustrations, les notes de bas de pages, ni les liens.
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Illustration : une scène du Tartuffe de Molière. Identités du photographe et des acteurs inconnues, mes excuses aux détenteurs des droits.